Face à un déficit de 9500 soldats prêts au déploiement et à une pénurie de recrues, les Forces armées canadiennes (FAC) consacreront leurs énergies à reconstituer leurs rangs dans les prochaines années.

Jeudi, le général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense, a ordonné que cessent « les activités non essentielles » et que tous les efforts soient consacrés au recrutement et à la rétention du personnel.

Cette reconstruction est d’autant plus urgente qu’elle se fait dans un « environnement géopolitique » tendu, notamment à la suite des évènements en Ukraine. « Les adversaires et les alliés nous dépassent sur le plan des progrès technologiques et de la capacité d’exercer des activités dans un environnement de tous les domaines », lit-on dans une directive du chef d’état-major de la Défense et du sous-ministre du ministère de la Défense nationale.

Fin août, les FAC se trouvaient à 9500 personnes en deçà du seuil de personnes prêtes à être déployées. « C’est préoccupant et cela nous place dans une situation très précaire », indique le major général Simon Bernard, directeur général du personnel militaire, en entrevue.

La pandémie de COVID-19 a eu aussi des répercussions. L’effectif de la Force régulière a diminué de quelque 4100 membres entre mars 2020 et juillet 2022 ; la Première réserve a diminué de 950 personnes. Durant la même période, le recrutement a atteint le tiers des chiffres habituels.

« D’autres facteurs affectent le recrutement, mais dans ces deux dernières années, la COVID nous a obligés à fermer l’école des recrues de Saint-Jean. Nous n’avons pas pu former recrues et officiers. Nous sommes en période de rattrapage, explique la majore générale Lise Bourgon, commandante par intérim du Commandement du personnel militaire. Et nous n’avons pas pu faire des activités de rayonnement vers les Canadiens comme aller dans les établissements d’enseignement. »

Professeur à l’École nationale d’administration publique, Stéphane Roussel indique que le recrutement est « historiquement lié au contexte économique ».

Quand le taux de chômage est élevé, on a moins de difficultés à recruter.

Stéphane Roussel, professeur à l’École nationale d’administration publique

Ce n’est pas le cas en ce moment avec des pénuries de personnel partout.

Des exemples d’activités non essentielles ? Les FAC ont par exemple arrêté d’envoyer, comme avant, un contingent à la marche de Nimègue, aux Pays-Bas. Le nombre de participants aux activités de la garde cérémoniale à la Citadelle de Québec a été réduit. Là où c’est possible, on se tourne vers le privé pour certaines tâches.

Les FAC se disent aussi sensibles aux enjeux de diversité. La majore générale Bourgon attire ainsi notre attention sur le fait que son titre peut maintenant être féminisé. « Je suis sensible à ce concept d’inclusion. Trop souvent dans ma carrière [commencée en 1987], je me suis sentie un peu de côté. »

La pénurie, un enjeu de sécurité

Au cabinet de la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, on plaidait jeudi que celle-ci avait toujours été claire sur le fait que le recrutement constituait un défi. « Nous demandons plus à nos militaires, et nous avons donc besoin de plus de personnel », souligne son attaché de presse, Daniel Minden.

Les opérations militaires, a-t-il ajouté, doivent être axées sur les domaines « où elles produisent des résultats concrets pour les Canadiens », par exemple « protéger les Canadiens ici, défendre l’Amérique du Nord aux côtés des États-Unis, et rester engagés à l’échelle mondiale avec nos alliés de l’OTAN ».

La directive confirme qu’il faut s’attaquer sans plus attendre aux enjeux du recrutement et de la rétention, souligne de son côté la bloquiste Christine Normandin, vice-présidente du Comité permanent de la Défense nationale. « Plusieurs témoins sont venus nous dire [en comité] que le principal enjeu de sécurité du Canada actuellement, c’est la pénurie de main-d’œuvre. »

Institution entachée

La flopée de scandales sexuels qui ont entaché l’institution ne l’a pas rendue attrayante, ajoute la députée du Bloc – un constat auquel adhère sa collègue néo-démocrate Lindsay Mathyssen. Elle accuse les libéraux de ne pas avoir donné suite au rapport de l’ancienne juge Marie Deschamps sur l’inconduite sexuelle, et d’avoir « retardé les recommandations formulées » dans le rapport subséquent, sur le même sujet, de Louise Arbour.

Le Parti conservateur n’a pas fourni de réaction, jeudi.

Pour le lieutenant-colonel retraité et professeur à l’Université de Sherbrooke Rémi Landry, l’initiative annoncée jeudi est louable. Mais la classe politique devra être plus sensible à ce que font les FAC.

« Je continue de croire que nos politiciens ont une méconnaissance du travail qui est fait, dit-il. Entre autres, on doit porter un peu plus attention aux ressources requises pour répondre aux besoins de sécurité au Canada comme dans le Nord canadien. Ils ont mis près de 10 ans à s’asseoir avec les Américains et décider de mettre à niveau notre système de défense NORAD. »

En savoir plus
  • 101 500
    Nombre de membres de l’effectif visé par les Forces armées canadiennes, soit 71 500 dans la Force régulière et 30 000 dans la Première réserve
    Source : directive du chef d’état-major de la défense et du sous-ministre du ministère de la Défense nationale