(Ottawa) La crise humanitaire en Ukraine s’annonce tellement grande que ni les partis de l’opposition ni le Congrès ukrainien canadien ne s’avancent sur une cible à atteindre pour l’accueil de ces réfugiés au Canada. Et le gouvernement n’en a fixé aucune à ce jour.

« Nous ne connaissons pas encore quelle ampleur prendra la crise humanitaire », a fait valoir en entrevue lundi le conseiller principal en matière de politiques du Congrès ukrainien canadien, Orest Zakydalsky. L’organisme travaille avec le gouvernement fédéral pour mettre en place le programme spécial de parrainage pour le regroupement familial annoncé par le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, jeudi.

« Nous en sommes au 12jour de guerre et il y a 1,5 million de personnes qui se sont enfuies », a-t-il ajouté.

En 2015, le gouvernement de Justin Trudeau s’était dit prêt à accueillir 25 000 réfugiés syriens. La cible avait par la suite été révisée à la hausse, et près de 40 000 Syriens étaient finalement arrivés au pays.

Les libéraux avaient également haussé l’objectif d’accueil de réfugiés afghans de 20 000 à 40 000 alors qu’ils tentaient de convaincre les Canadiens de les réélire il y a six mois. Kaboul, la capitale du pays, est tombée le 15 août aux mains des talibans, soit deux jours après le déclenchement de la campagne électorale.

« Le Canada est prêt à accueillir les Ukrainiens fuyant la guerre de Vladimir Poutine et il n’y a pas de limite au nombre de candidatures que nous serons prêts à accepter », a déclaré le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, la semaine dernière, lors de l’annonce de deux nouveaux programmes pour permettre aux gens fuyant cette guerre de venir ici.

Le gouvernement veut approuver le plus grand nombre possible de demandes d’autorisation de voyage d’urgence qui permettront aux Ukrainiens de rester au Canada durant deux ans. Une limite sera toutefois fixée pour le programme spécial de parrainage pour le regroupement familial, selon le cabinet du ministre Fraser. Mais dans l’ensemble, aucun plafond n’est prévu pour les réfugiés ukrainiens.

L’incertitude qui entoure la guerre fait en sorte qu’il est difficile de savoir combien d’Ukrainiens voudront se prévaloir de ces nouvelles voies pour immigrer au Canada, particulièrement celle pour le visa temporaire.

« Ça me surprendrait vraiment qu’il y ait des milliers qui viennent parce qu’on est quand même loin et la situation est trop incertaine, alors j’ai l’impression qu’il y a des gens qui veulent peut-être rester à proximité de leur maison ou de leur conjoint resté là-bas », a indiqué la présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration, Stéphanie Valois.

Elle dit avoir reçu peu d’appels de la part d’Ukrainiens jusqu’à maintenant.

Aucun des partis de l’opposition n’a demandé au gouvernement de fixer un objectif. « Je ne crois pas qu’il soit possible de fixer une cible quand nous ne savons pas combien de personnes vont s’enfuir de l’Ukraine », a constaté le député conservateur James Bezan, lui-même d’origine ukrainienne. Toutefois, il a fait remarquer que sans cible, il sera difficile de planifier l’accueil des Ukrainiens au Canada.

La situation est trop urgente pour que le gouvernement s’attarde à déterminer un objectif, selon le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole de son parti en matière d’immigration. « Ce n’est pas le moment de perdre du temps à trouver une cible parce qu’on perdrait des effectifs à calculer cette cible potentielle, a-t-il affirmé. Il n’y a aucune commune mesure avec ce qui a été vécu précédemment parce que si on regarde bien les chiffres, ça va être le plus grand afflux de réfugiés en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. »

Le Bloc québécois demande au gouvernement de créer un « pont aérien », c’est-à-dire de noliser des avions pour pouvoir transporter rapidement les Ukrainiens qui auront obtenu leur visa temporaire.

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) n’a pas voulu avancer de chiffre, lui non plus. « C’est difficile d’avoir une cible en ce moment parce que la crise continue et on ne connaît pas encore tout l’impact de ce qui se passe, a expliqué Jagmeet Singh. Mais on doit faire tout ce qu’on peut maintenant pour créer un système qui est facile, simple et efficace pour les Ukrainiens qui veulent quitter le pays. »

M. Singh a écrit au premier ministre Justin Trudeau lundi pour lui demander l’élaboration rapide d’un plan pour l’accueil des réfugiés ukrainiens en collaboration avec les provinces, les territoires et les villes. Le NPD veut également que le gouvernement canadien vienne en aide aux minorités ethniques et aux membres de la communauté LGBTQ2s+, victimes de discrimination alors qu’ils tentent de fuir l’Ukraine.

Le Canada compte déjà une importante diaspora ukrainienne de 1,3 million de personnes.

Pas de limite au Québec

Le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean Boulet, a affirmé lundi à Montréal qu’il n’y avait pas de limite au nombre de réfugiés ukrainiens que le Québec est prêt à accueillir, selon ses capacités. Il était de passage dans la métropole pour annoncer près de 5 millions à 14 organismes communautaires œuvrant à l’accueil, l’intégration et la francisation de nouveaux arrivants.

Le ministre a dit ne pas savoir encore combien de réfugiés ukrainiens le Québec sera appelé à accueillir ou quand ceux-ci commenceront à arriver, ces questions relevant d’Ottawa. Bien qu’il soit en contact avec son homologue fédéral Sean Fraser, M. Boulet a expliqué qu’il était encore trop tôt pour connaître la réponse à ces questions.

« On n’a pas d’estimation. J’en parlais avec M. Fraser. On n’a pas de limite. […] On va respecter notre capacité d’accueil, mais pour l’instant, quand j’étais dans des organismes, même à Montréal la semaine passée, ils sont prêts. On les attend », a-t-il dit.

La mobilisation est en cours pour préparer cet accueil. Le ministre a expliqué que quelque 95 organismes sont en état d’alerte et que le recrutement de personnes parlant l’ukrainien et le russe va bon train.

La Presse Canadienne