(Ottawa) Un dixième avion rempli de réfugiés afghans s’est posé mardi soir en sol canadien au moment où le gouvernement libéral de Justin Trudeau continue d’essuyer les critiques et les appels au sauvetage de centaines d’anciens interprètes et de leurs familles coincés en Afghanistan.

Selon un responsable du gouvernement, 92 personnes se trouvaient à bord incluant des réfugiés, des membres de leurs familles et des citoyens canadiens.

Ce groupe avait quitté l’Afghanistan il y a quelques jours et s’était posé dans un pays tiers, a expliqué Alexander Cohen, un porte-parole du ministre de l’Immigration Marco Mendicino.

Les libéraux ont permis aux journalistes qui suivent la campagne électorale de Justin Trudeau d’assister à l’arrivée des passagers sur le tarmac de l’aéroport Pearson à Toronto. Les réfugiés sortant d’un avion d’Air Transat ont été accueillis dans des tentes. Certains traînaient de petits sacs et d’autres portaient de jeunes enfants.

Après s’être enregistrés, les passagers sont montés à bord de deux autobus. Au moment où l’un des véhicules s’éloignait, des enfants envoyaient la main à travers les fenêtres.

Jusqu’à maintenant, le gouvernement est demeuré très discret au sujet de l’opération d’extraction de réfugiés dans le but de les protéger et d’assurer le succès de la mission. Le fait que des journalistes aient pu observer ce débarquement mardi semble démontrer que Justin Trudeau sent la pression monter face à sa décision de déclencher des élections en pleine crise en Afghanistan.

Un peu plus tôt mardi, Justin Trudeau avait indiqué que tous les diplomates canadiens avaient quitté l’Afghanistan.

Le ministère de la Défense nationale avait précédemment confirmé que l’avion arrivé à Toronto transportait des Afghans admis dans le cadre d’un programme spécial d’immigration pour les anciens interprètes et autres employés. L’avion arrivé à Ottawa transportait des diplomates canadiens et des militaires des forces spéciales.

« Nous exigeons qu’ils (les talibans) assurent le libre passage des gens qui veulent quitter pour l’aéroport et nous allons travailler avec nos partenaires à l’international pour continuer à mettre de la pression pour protéger le peuple afghan », a indiqué mardi le premier ministre Trudeau.

Cette crise en Afghanistan éclate alors que le Canada est en pleine campagne électorale. Les conservateurs demandent d’ailleurs aux principaux ministres concernés de suspendre leur campagne pour se concentrer sur ce dossier.

« Ces Afghans ont risqué leur vie pour aider les soldats et les diplomates canadiens — et c’est maintenant qu’ils en ont besoin », ont écrit mardi les députés conservateurs sortants Alex Ruff et Michael Chong. Ils ont adressé leur demande au ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, au ministre de l’Immigration, Marco Mendicino, et au ministre de la Défense, Harjit Sajjan.

Selon les informations transmises par M. Trudeau lundi, plus de 800 anciens interprètes, conseillers culturels, chauffeurs, préposés à l’entretien et autres employés, ainsi que leur famille, étaient arrivés grâce au programme d’immigration spécial mis sur pied en juillet.

Andrew Rusk, qui a lancé une campagne nationale pour faire venir les collaborateurs afghans au Canada, estime qu’au moins 2000 d’entre eux attendent encore d’être évacués.

Pont aérien

L’évacuation de tous les diplomates canadiens d’Afghanistan fait suite à l’étonnante prise de Kaboul par les talibans dimanche, qui a fait suite à une prise de contrôle extrêmement rapide du pays.

La marche des talibans dans la capitale a provoqué une panique généralisée et une ruée vers le principal aéroport du pays, certains Afghans s’accrochant aux flancs d’un avion militaire américain avant son décollage, dans une vidéo qui a capturé de façon dramatique le sentiment de désespoir, alors qu’une guerre de 20 ans touchait à sa fin dans le chaos.

Les conservateurs ont également exigé mardi que les libéraux déploient des militaires à Kaboul pour aider ceux qui ont travaillé avec le Canada. « Le gouvernement doit agir maintenant », a déclaré le conservateur James Bezan lors d’une conférence de presse. « Le premier ministre Trudeau doit ordonner aux militaires de faire atterrir ces avions et de sauver tous nos gens avant qu’il ne soit trop tard. »

M. Trudeau, dont le gouvernement a également promis la semaine dernière de réinstaller 20 000 réfugiés afghans supplémentaires qui ont déjà quitté le pays, a déclaré que le Canada continuerait d’essayer d’aider les interprètes et les autres employés.

Le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a révélé mardi que l’armée américaine se coordonne avec les talibans, qui ont déclaré une « amnistie », tout en permettant le pont aérien des Américains et des alliés depuis l’aéroport de Kaboul, et en amenant également des troupes américaines supplémentaires dans une ruée pour terminer l’évacuation avant le 31 août.

M. Kirby a également indiqué que des plans étaient en cours pour héberger jusqu’à 22 000 Afghans évacués et leur famille dans trois installations militaires aux États-Unis.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré mardi que l’alliance militaire s’efforçait de faciliter l’évacuation des Afghans le plus rapidement possible, alors même qu’il exigeait des talibans qu’ils maintiennent ouverts l’aéroport, les routes et les postes frontaliers.

M. Stoltenberg a également semblé poser des critères pour la reconnaissance d’un gouvernement taliban. « Il doit y avoir un transfert pacifique du pouvoir à un gouvernement inclusif. Sans vengeance ni représailles. Un gouvernement qui ne respecterait pas les droits fondamentaux de tous les Afghans et ramènerait le règne de la peur risquerait l’isolement international », a-t-il soutenu.

Reconnaissance du régime taliban ?

M. Trudeau a de son côté déclaré aux journalistes mardi que le Canada « n’avait pas l’intention de reconnaître les talibans comme le gouvernement de l’Afghanistan » — alors que le ministre Garneau avait indiqué plus tôt qu’Ottawa attendait de voir comment ce régime allait se comporter.

« On ne les a pas reconnus, le Canada ne les a pas reconnus il y a 20 ans, quand ils étaient au pouvoir en Afghanistan, a dit le premier ministre. Ils ont pris le pouvoir par la force d’un gouvernement dûment élu et sont reconnus pour être un organisme terroriste. »

Les conservateurs avaient répondu lundi au commentaire du ministre Garneau en assurant qu’un gouvernement conservateur ne reconnaîtrait pas un gouvernement taliban. Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a estimé mardi que ce « groupe terroriste » n’est pas « un gouvernement légitime ».

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, estime lui aussi que le gouvernement canadien ne devrait pas reconnaître ce gouvernement, « surtout pas à rabais, surtout pas maintenant, surtout pas avec des promesses pastiches d’amnistie ».

Les conservateurs ont toutefois refusé de répondre aux questions demandant si un refus de travailler avec les talibans rendrait plus difficile le sauvetage des personnes en danger, ou si le Canada devrait envoyer des troupes à Kaboul pour aider à escorter les gens à travers les lignes talibanes.

La conservatrice Michelle Rempel Garner s’est engagée à respecter la promesse des libéraux de réinstaller 20 000 Afghans qui ont déjà fui le pays, tout en comparant la menace des talibans contre les Afghanes au génocide de Daesh contre les yézidis en Irak en 2014.