Peu de pensionnats autochtones ont vu le jour au Québec ou dans les Maritimes. Mais des religieuses canadiennes-françaises représentaient une grande proportion du personnel de ces pensionnats visant l’acculturation des enfants autochtones, qui étaient souvent dirigés par des oblats, un ordre français invité au Canada notamment pour favoriser la propagation du français au-delà de la vallée du Saint-Laurent…

Deux ou trois oblats, une dizaine de religieuses, souvent des centaines d’enfants : tel est le cas de figure typique des pensionnats autochtones gérés par l’Église catholique. « Environ 60 % des pensionnats autochtones étaient gérés par l’Église catholique », explique Jim Miller, de l’Université de la Saskatchewan, l’un des historiens ayant le plus travaillé sur le sujet au Canada. « Les oblats étaient au premier plan, mais généralement, ils travaillaient avec un ordre féminin établi au Québec. »

Mgr Claude Champagne, lui-même oblat et évêque d’Edmundston, précise que les religieuses enseignaient aux « enfants en bas âge » et s’occupaient des soins et de l’intendance.

L’avantage pour le gouvernement canadien était que les religieuses étaient très peu payées, selon Brian Gettler, spécialiste de l’histoire sociale du colonialisme à l’Université de Toronto. « Dans les pensionnats protestants, on devait engager des laïcs au passé trouble », dit M. Gettler. Est-ce que les enfants étaient mieux traités à où il y avait des religieuses que dans les pensionnats protestants ? « Non, les sœurs n’étaient pas des anges non plus », dit M. Gettler.

Dans un essai publié début juin dans la revue en ligne Histoire engagée, Catherine Larochelle, historienne à l’Université de Montréal, écrit que cette implication des ordres religieux signifie que l’histoire des pensionnats est « québécoise », même s’il n’y a pas eu beaucoup de pensionnats ici. Mme Larochelle affirme aussi que l’influence d’Albert Lacombe, l’un des premiers oblats nés au Québec et figure majeure de l’évangélisation des autochtones de l’Ouest, doit être examinée. « C’est en effet l’une des questions importantes à résoudre pour l’histoire des pensionnats », estime Frédéric Barriault, directeur de la recherche au Centre justice et foi, qui a publié des essais critiques à l’endroit de l’Église dans ce dossier. M. Barriault ajoute, par ailleurs, qu’il y avait parfois une « interdiction formelle de l’agent du ministère des Affaires indiennes de communiquer avec les familles », ce qui a pu entraver la notification d’une mort par les religieux.

Omniprésence dans l’Ouest

Pour savoir quelles communautés religieuses étaient impliquées dans les pensionnats autochtones, La Presse a épluché le « Canada ecclésiastique » de 1951. Il s’agit d’un annuaire exhaustif de l’Église publié chaque année, de 1887 à 1974. Au fil des 1508 pages de l’édition de 1951, on constate que les oblats géraient 22 « écoles indiennes », et des ordres féminins, 42 écoles, parfois avec les oblats, parfois seuls. Les Sœurs grises, avec 11 écoles, dont une au Dakota du Nord, et les Sœurs de la Providence, avec 8 écoles, arrivent en tête de liste.

L’« école industrielle indienne » de Kamloops était codirigée par 4 oblats anglophones et 11 sœurs de Sainte-Anne (auprès de 500 enfants), le pensionnat de Marieval, alors nommé « école indienne de Lac-Croche », par 12 sœurs de Saint-Joseph (pour un peu plus de 100 enfants), et celui de Cranbrook, alors appelé « école indienne Saint-Eugène », par deux oblats. À noter, les oblats étaient présents dans des dizaines de réserves à titre de curés, généralement seuls.

Selon Anne-Hélène Kerbiriou, historienne française qui a publié en 1996 le livre Les Indiens de l’Ouest canadien vus par les oblats, ces religieux étaient généralement originaires de Bretagne et de Belgique. Or, même si l’un de leurs objectifs était d’accroître l’influence des francophones dans l’Ouest, le gouvernement fédéral imposait l’enseignement en anglais dans les pensionnats autochtones.

La difficile identification des dépouilles

Mercredi, la communauté aq’am a tenu à préciser qu’il était pour le moment impossible d’affirmer avec certitude que les 182 dépouilles retrouvées près de l’ancien pensionnat de Cranbrook étaient toutes celles d’enfants l’ayant fréquenté. Les dépouilles de ces enfants étaient parfois enterrées parmi d’autres, ce qui rend leur identification difficile.

Comme à Cranbrook, les corps d’enfants découverts à Marieval et à Kamloops avaient été enterrés dans des cimetières selon les rites catholiques, sous des croix de bois qui se sont rapidement désagrégées, explique Jim Miller. « La croix de bois, c’était la sépulture catholique pour les pauvres », confirme M. Gettler. Il ne s’agirait donc pas de fosses communes, quoique le président de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CRT), Murray Sinclair, a évoqué récemment des témoignages devant la CRT voulant qu’il y en ait eu dans certains pensionnats, selon Jean-François Roussel, spécialiste des pensionnats autochtones à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. Ces témoignages n'ont pas été inclus dans le rapport de la CRT.

Dans les cimetières paroissiaux, on peut retrouver le nom d’une personne enterrée (mais pas toujours l’emplacement de sa tombe) dans un registre. L’identité des enfants enterrés pourrait donc se retrouver dans les archives des communautés religieuses. « C’est plus facile quand les pensionnats utilisaient les cimetières paroissiaux, qui ont leurs propres registres », dit M. Miller.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L'UNIVERSITÉ DE SASKATCHEWAN

Jim Miller est l'un des historiens canadiens ayant le plus travaillé sur le sujet des pensionnats autochtones

Selon Mme Kerbiriou, les oblats à tout le moins devraient avoir ces registres. « J’ai vu beaucoup de photos de groupe avec des dizaines de personnes entourant le curé oblat, où tout le monde était identifié. » Normalement, les missionnaires oblats conservaient un registre pour les funérailles et un autre pour les enterrements, selon Rémi Cadieux, oblat qui a été le dernier directeur du pensionnat autochtone de Pointe-Bleue, près de Roberval. « Je ne sais pas si c’était la même chose dans les pensionnats, mais j’imagine », dit le père Cadieux, qui se trouve à la maison de retraite des oblats à Richelieu.

« Personnellement, je n’ai eu aucune mort à l’école. Quand le fédéral a pris le contrôle des écoles, en 1972, j’ai laissé tous les dossiers des élèves. J’ai eu des élèves qui ont eu, par la suite, de la difficulté à accéder à leur dossier scolaire. »

Quant à eux, les jésuites ont dirigé un seul pensionnat autochtone, à Spanish, à l’ouest de Sudbury, en Ontario. « Il y a 20 ans, on a chargé un historien de faire l’histoire du pensionnat, et il a trouvé les noms des enfants qui y sont morts », explique le provincial des jésuites canadiens, Erik Oland. « On a installé une pierre tombale avec leur nom dans le cimetière où ils avaient été enterrés. » Le même historien local, David Shanahan, vient d’être réengagé pour éplucher à nouveau les archives des jésuites sur le pensionnat.

PHOTO FOURNIE PAR ERIK OLAND

Mémorial érigé pour les enfants décédés au pensionnat autochtone de Spanish, dans le cimetière municipal

Brandon : camping sur le cimetière

Les terrains des cimetières oubliés ont parfois été reconvertis. Une controverse frappe ainsi depuis un mois un camping de Brandon, au Manitoba. C’est qu’il est situé sur un cimetière d’un pensionnat autochtone qui a été en partie administré par l’Église catholique. Jusqu’à 104 dépouilles s’y trouveraient, mais une enquête est toujours en cours pour le déterminer.

Le camping a été créé par la municipalité dans les années 1960, puis vendu à son propriétaire actuel en 2001. « Les communautés autochtones locales s’y rendaient pour honorer leurs disparus, mais le nouveau propriétaire a voulu les en empêcher, explique Brian Gettler. Alors, il y a un mouvement pour que la municipalité rachète le terrain. »

Les pensionnats autochtones en chiffres

150 000 : nombre d’enfants ayant fréquenté les pensionnats autochtones

3200 : nombre d’enfants officiellement morts dans un pensionnat autochtone, un chiffre qui pourrait être de 5 à 10 fois plus élevé en réalité, selon des historiens

80 : nombre de pensionnats autochtones à l’apogée du système, en 1930

Sources : Commission de vérité et réconciliation du Canada, Encyclopédie canadienne

Sources : Jean-François Roussel, gouvernement du Canada

Une version précédente de cet article mentionnait que la CRT avait évoqué des témoignages de fosses communes près des pensionnats autochtones. Il s'agit en fait du président de la CRT, Murray Sinclair, dans des entrevues récentes, et non du rapport de la CRT.