Un rapport de l’organisme international Human Rights Watch (HRW) réclame le rapatriement « de toute urgence » de 47 Canadiens, dont 26 enfants, actuellement détenus dans des conditions « inhumaines » en Syrie en tant qu’anciens membres du groupe armé État islamique (EI).

Le document publié lundi accuse le Canada d’avoir carrément abandonné les siens à cause de leurs liens présumés avec l’EI, bafouant ses obligations internationales en matière de droits de la personne, ne soutenant pas les familles des détenus, « refusant illégalement l’octroi d’une aide consulaire » et ne prenant pas les mesures nécessaires pour aider ses ressortissants, « victimes de graves abus, de torture et de traitements inhumains et dégradants ».

Des familles affirment que les autorités canadiennes n’ont pas même contacté les détenus depuis le début de leur incarcération, alors que plusieurs ont manifesté leur désir de revenir. Pourtant, certaines de ces familles ont réussi à se rendre elles-mêmes dans les camps pour visiter leurs proches, tout comme des organismes d’aide et des représentants légaux.

Conditions de vie « répugnantes »

Le retour au pays des Canadiens soupçonnés de s’être joints à l’EI soulève le débat depuis plusieurs mois. Alors que de nombreux États occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont ramené des citoyens, le gouvernement Trudeau, lui, a toujours refusé d’en faire autant, indiquant qu’il est trop dangereux pour ses fonctionnaires de se rendre dans cette région du monde.

Il faut trouver une solution, dit Human Rights Watch. Et vite.

PHOTO DELIL SOULEIMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSEP

Le rapport de HRW fait état de conditions de vie misérables dans les centres de détention. Ici, un enfant dans le camp d’Al-Hol, en mars 2019.

Son rapport fait état des conditions de vie « répugnantes » et « dangereuses » de 8 hommes, 13 femmes et 26 enfants canadiens, dont la majorité a moins de 6 ans.

« Dans les prisons de fortune pour hommes et adolescents, la nourriture est rare et le surpeuplement si répandu que de nombreux détenus dorment les uns sur les autres, lit-on. Depuis la mi-2019, plus de 100 prisonniers — peut-être même plusieurs centaines — sont morts, beaucoup à cause du manque de soins. Dans les camps pour femmes, jeunes filles et jeunes garçons, les tentes s’effondrent sous les vents, ou sont inondées par les fortes pluies ou les eaux usées. Quand elle ne manque pas, l’eau potable est souvent contaminée. Les latrines débordent, les chiens abandonnés fouillent dans les ordures et les maladies sont fréquentes », poursuit le rapport, selon lequel 371 enfants sont morts en 2019, la plupart des suites de maladies évitables, au camp d’Al-Hol, le plus gros des deux camps de la région.

Alexandra Bain, directrice de l’organisme FAVE Canada, vient en aide aux familles des détenus. Elle connaît bien la réalité sur le terrain.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La Dre Alexandra Bain, directrice de FAVE Canada

Les mamans et les enfants canadiens veulent désespérément rentrer à la maison. Ils sont malades, mal nourris et terrifiés. Ils ne peuvent pas comprendre pourquoi ils y sont détenus. Ces enfants sont brutalisés quotidiennement, mais le gouvernement canadien détourne simplement la tête. Comment cela protège-t-il les droits des Canadiens et des enfants mineurs ?

Alexandra Bain, directrice de FAVE Canada

Les 47 Canadiens, souligne Human Rights Watch, ne font l’objet d’aucune accusation. « Les innocents, comme les enfants qui n’ont pas choisi de naître ou de vivre sous la coupe de l’État islamique, n’ont aucun espoir d’être libérés. En même temps, les détenus qui peuvent avoir été impliqués dans des crimes de l’État islamique pourraient n’être jamais traduits en justice. Étant donné l’absence d’options en matière d’identification des responsabilités dans le nord-est de la Syrie, la seule manière de demander des comptes aux Canadiens impliqués dans des crimes graves de l’État islamique est que le Canada rapatrie ces personnes pour enquêter et, si cela est justifié, engager des poursuites contre elles. »

PHOTO DELIL SOULEIMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des détenues sont escortées par des gardes kurdes au camp d’Al-Hol, en juillet 2019.

Les enfants d’abord

L’organisme réclame, dans le cadre d’une longue liste de recommandations, que le gouvernement Trudeau ramène « de toute urgence tous les Canadiens détenus dans le nord-est de la Syrie aux fins de réadaptation, réintégration et, le cas échéant, de poursuites judiciaires. […] Dans le respect des droits de l’enfant, que le Canada a défendus dans plusieurs forums des Nations unies, le gouvernement devrait donner la priorité au rapatriement des enfants ». En attendant, il faut trouver des solutions pour améliorer la qualité de vie sur place, demande-t-on.

L’avocat spécialisé en immigration Stéphane Handfield milite pour le retour rapide des enfants de l’EI.

Ce sont des Canadiens à part entière. Ils n’ont commis aucun crime. On ne peut pas les laisser à eux-mêmes. Ils ne sont pas responsables des choix de leurs parents.

Stéphane Handfield, avocat spécialisé en immigration

Pour ce qui est des adultes, il doute que ceux qui ont commis des crimes rendent des comptes une fois ici. « Je vois mal comment on pourra faire la preuve hors de tout doute de crimes commis en Syrie. Il faut que ce travail soit fait là-bas. Cela dit, si on nous dit que le travail ne sera pas fait, que les Kurdes vont finir par les libérer, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux préparer un plan de sortie pour les adultes que d’attendre qu’ils arrivent dans nos aéroports d’eux-mêmes ? »

PHOTO BADERKHAN AHMAD, THE ASSOCIATED PRESS

De nombreuses détenues et leurs enfants avaient été libérés l’été dernier. On en voit certains, ici, au camp d’Al-Hol, attendant l’autocar pour rentrer chez eux.

Questionné lundi sur le rapport en marge d’une conférence sur la COVID-19, le premier ministre Trudeau a dit ceci : « Nous avons une responsabilité en tant que gouvernement de nous assurer que les Canadiens, particulièrement nos employés, ne sont pas mis en danger. La Syrie est un endroit où nous n’avons pas de diplomates ou de représentation. Nous travaillons avec des intermédiaires pour essayer d’offrir de l’aide consulaire du mieux que nous pouvons. […] Évidemment, dans certains de ces cas, des individus vont faire face à des accusations quand ils vont revenir au Canada pour avoir participé ou avoir soutenu des activités terroristes, mais en même temps, nous avons des obligations d’essayer d’aider des Canadiens, quelle que soit leur situation, et c’est toujours quelque chose que nous allons essayer de faire. »

Pour lire le rapport : https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2020/06/canada0620fr_summary_recs.pdf

— Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron