L'armée canadienne se targue de plusieurs victoires dans la guerre qu'elle mène depuis quatre ans contre les inconduites sexuelles, mais elle admet aussi des défaites et des signes de « fatigue » au sein des Forces, alors que certains militaires en auraient assez de ce discours ambiant.

Ces constats sont contenus dans le quatrième rapport d'étape sur l'opération « HONOUR », publié mardi par les Forces. Ce rapport vise à fournir une mise à jour sur la lutte contre les comportements sexuels inappropriés et criminels au sein de l'armée, une initiative amorcée en juillet 2015 par le général Jonathan Vance, chef d'état-major de la défense.

Cette quatrième analyse fait suite à un rapport du vérificateur général qui soutenait l'automne dernier que l'état-major n'en faisait pas assez pour venir en aide aux victimes, entravant du coup les efforts pour éliminer au départ les inconduites elles-mêmes.

En dépit des conclusions du vérificateur général, le nouveau rapport conclut que l'armée a mis en oeuvre plusieurs mesures pour aider les victimes et poursuivre les responsables, tout en sensibilisant à la question des comportements sexuellement inappropriés au sein des Forces. Pourtant, les efforts de l'armée pour changer sa culture globale - et s'assurer que les progrès accomplis ne soient pas vains - ont été entravés par un manque d'informations et par la bureaucratie, conclut le rapport.

Cet « échec bureaucratique » se manifeste de plusieurs manières, notamment par une tentative de définir concrètement ce qui constitue le harcèlement sexuel et l'inconduite. L'armée a également attendu trop longtemps pour consulter les victimes et leurs défenseurs, et elle n'a pas su tirer les leçons des trois dernières années, tandis que des militaires ont commencé à se lasser de l'attention constante portée aux actes répréhensibles, constatent les auteurs du rapport.

« Le message visé par l'opération HONOUR circule au sein des (Forces armées) depuis plus de trois ans, mais, selon certains éléments anecdotiques, il semble y avoir un essoufflement du contenu », indique le rapport.

Changer la « culture de la sexualisation »

En entrevue mardi, la directrice générale de l'Équipe d'intervention stratégique sur l'inconduite sexuelle a reconnu les échecs de l'armée, en particulier pour changer véritablement la culture au sein des Forces, que l'ex-juge Marie Deschamps avait qualifiée de « culture de la sexualisation ».

« Les changements de culture sont très difficiles à réaliser. Je constate que nous continuons à le répéter et que nous n'avons pas de feuille de route », a admis la commodore Rebecca Patterson.

L'armée prépare actuellement un « plan de campagne » visant à traduire la prise de conscience accrue de l'inconduite sexuelle inappropriée en un changement permanent des attitudes et des croyances, a indiqué Mme Patterson.

Il s'agit notamment de faire en sorte que le Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle de l'armée, créé en septembre 2015 en tant que centre d'appel pour les victimes, devienne l'autorité centrale des Forces pour tous les comportements sexuels inappropriés. C'est ce que Marie Deschamps, juge à la retraite de la Cour suprême, avait recommandé à la suite de son enquête explosive au début de 2015.

« Il est devenu de plus en plus clair que ce modèle mis en place et que la répartition des responsabilités ne servait pas les membres aussi bien qu'ils le devraient », a admis Denise Preston, directrice générale du Centre. « Donc, essentiellement, ce qui se passe actuellement, c'est que nous allons changer dans les mois à venir pour mettre en place le (Centre) tel que l'envisageait Mme Deschamps [...] Notre rôle sera davantage un rôle de leadership. »