La liste des enfants en attente d'une évaluation de la part de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dépasse les 3000 noms à l'échelle du Québec. Une situation sans précédent qui « soulève une grande inquiétude » pour le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant.

Dans la seule région des Laurentides, le nombre de cas d'enfants qui attendent une évaluation, des cas jugés non urgents, atteignait 457 à la fin de décembre. Dans cette région, qui affiche la deuxième liste d'attente parmi les plus imposantes, le nombre de cas est passé de 302 en novembre dernier à 457 le 29 décembre.

Le centre jeunesse local, dépassé par l'ampleur de la tâche, a dû faire appel à trois régions avoisinantes pour obtenir de l'aide. La directrice de la protection de la jeunesse, Myriam Briand, parle d'une « période de crise ».

La semaine dernière, les directeurs de la protection de la jeunesse des 16 régions du Québec ont rencontré le ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant. La question épineuse de la liste d'attente a été abordée. Pour le ministre, il est clair que « l'action du précédent gouvernement a été dévastatrice ».

« Autant de noms, c'est énorme. Depuis plusieurs années, nous connaissons un accroissement de signalements plus élevé que l'ensemble du Québec. » 

- Myriam Briand

En un an seulement, le nombre de signalements a bondi de 12 % dans les Laurentides. « On a 1000 signalements de plus que l'an dernier », résume Myriam Briand.

« C'est un problème récurrent dans les Laurentides. L'employeur va chercher des ressources pour faire diminuer la liste, mais dès qu'elle passe sous un certain niveau, on enlève ce surcroît de personnel, déplore Marie-Ève Meilleur, représentante nationale pour l'Alliance du personnel professionnel et technique dans les Laurentides. La liste d'attente, c'est vraiment une pression supplémentaire qui s'installe dans un travail qui est déjà très difficile. »

Précisons que les signalements urgents, codés 1 ou 2, qui nécessitent une intervention immédiate ou dans les 24 heures, font toujours l'objet d'une réponse dans les délais. Les enfants qui se retrouvent sur la liste d'attente sont des « codes 3 », jugés non urgents. Les normes ministérielles précisent que le délai de traitement de ces cas peut aller de 48 heures à quelques mois. En Estrie, le temps d'attente moyen pour un cas non urgent était de 65 jours en décembre. C'était le plus élevé au Québec. À l'échelle de la province, le temps moyen d'attente pour un tel cas était de près de 26 jours.

L'étape de l'évaluation survient après celles de la réception et de la rétention du signalement. Dans le traitement d'un cas, c'est le moment où les intervenants sont chargés de déterminer si la sécurité ou le développement de l'enfant sont compromis et, si la réponse est positive, de mettre en place les mesures pour corriger la situation.

Des intervenants « à bout »

Au CISSS de Laval, certains intervenants qui travaillent dans le secteur de l'évaluation-orientation se sont fait dire récemment qu'ils devraient désormais prendre deux cas par semaine plutôt qu'un seul pour venir à bout de la liste d'enfants en attente d'une évaluation. Actuellement, la liste d'attente s'élève à 61 noms à Laval. Il y a deux semaines, on y trouvait 106 noms.

Une situation intenable, jugent des représentants syndicaux. « On leur impose d'en prendre deux par semaine », dénonce Josée Fréchette, représentante nationale de l'Alliance du personnel professionnel et technique au CISSS de Laval. 

« On leur propose de faire du temps supplémentaire pour faire plus de dossiers. Ces intervenants-là, ils sont déjà à bout de souffle ! Le message qu'on lance, c'est : tournez les coins ronds, faites plus de dossiers. »

- Josée Fréchette

On a effectivement demandé à certains intervenants travaillant à l'évaluation-orientation d'assurer une « double assignation », confirme la directrice de la protection de la jeunesse de Laval, Sonia Mailloux. On a également requis les services de quatre intervenants, à qui on a assigné d'office dix cas chacun. « On leur a demandé de faire un blitz », résume Mme Mailloux. De plus, on a embauché d'autres intervenants pour décharger le personnel habituel de certaines tâches.

« On suit la situation de très près, parce qu'on n'en veut pas, de liste d'attente », dit Mme Mailloux.

Tempête parfaite

Les centres jeunesse se retrouvent au centre d'une tempête parfaite. D'abord, les cas sont de plus en plus lourds et, surtout, les signalements ne cessent d'augmenter. En cinq ans, on a vu une hausse de plus de 15 % des signalements reçus. Pour la première fois de l'histoire, l'an dernier, le nombre de signalements reçus a dépassé les 100 000.

Pour le ministre Carmant, face à cette « augmentation drastique », il est clair qu'un renforcement de la première ligne en matière de protection de la jeunesse s'impose. « Des annonces en ce sens suivront bientôt. »

Second problème, les centres jeunesse font face à une criante pénurie de main-d'oeuvre. « Oui, on manque de monde pour répondre aux besoins, convient Josée Morneau, de la DPJ de la Montérégie. Mais pas à cause d'une question d'argent, c'est à cause d'une pénurie de personnel. On a de la difficulté à remplacer les gens. »

Des changements aux pratiques ont également contribué à cette pénurie de personnel. À l'évaluation-orientation, on exige désormais que les intervenants soient des travailleurs sociaux en règle, membres de leur ordre professionnel. « Certaines personnes auraient la compétence pour le poste, mais on ne peut pas les embaucher », fait valoir Josée Morneau.

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Nombre de dossiers en attente d'une évaluation dans les services de protection et de réadaptation pour les jeunes en difficulté

Montérégie 554

Laurentides 457

Estrie 356

Ouest-de-l'Île-de-Montréal 336

Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal 291

Mauricie - Centre-du-Québec 232

Chaudière-Appalaches 154

Outaouais 117

Capitale-Nationale 114

Côte-Nord 94

Laval 84

Abitibi-Témiscamingue 62

Saguenay - Lac-Saint-Jean 57

Bas-Saint-Laurent 56

Gaspésie 4

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Lionel Carmant, ministre délégué aux Services sociaux