Des produits de cannabis achetés légalement ont commencé à s'infiltrer au compte-gouttes sur des sites de revente comme Kijiji. À ceux qui seraient tentés de s'improviser revendeurs, Ottawa et Québec lancent un avertissement très clair : vous risquez jusqu'à 14 ans de prison et une amende de 500 000 $ si vous vous faites pincer.

La Presse a trouvé une série d'articles achetés auprès de la Société québécoise du cannabis (SQDC), comme des gélules d'huile de marijuana, offerts en revente sur le site de petites annonces Kijiji. Un jeune entrepreneur en herbe offre aussi ses services pour faire la queue - contre rémunération - afin d'aller acheter des produits à la SQDC pour des clients trop pressés.

La réponse des autorités face à ce commerce secondaire est claire et nette : c'est illégal.

« C'est absolument criminel d'acheter du cannabis légalement et de le revendre sur un site internet ou de le vendre à quelqu'un qui est sous l'âge légal, a tonné en entrevue la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor. C'est important de s'assurer que les Canadiens savent que nous prenons ces activités-là au sérieux. Les enquêtes seront faites à ce sujet. »

QUATRE FOIS PLUS CHER

Sur Kijiji, un homme vendait en début de semaine différents produits provenant de la SQDC, dont des gélules d'huile de cannabis qui sont actuellement en rupture de stock dans les magasins.

Prix demandé : 180 $, soit près de quatre fois le prix de vente de 44,90 $ de la SQDC. « J'ai acheté ça par curiosité pour essayer avec mon épouse, mais on n'a pas aimé ça. Ce sont des produits dispendieux, alors je me suis dit que j'allais les revendre sur Kijiji. Je suis pris avec, je n'ai pas vraiment d'autres options », a-t-il affirmé.

« Je les vends plus cher qu'à la SQDC parce que je me suis déplacé en auto, j'ai utilisé de l'essence, et j'ai fait la file d'attente. Mais là, je vais retirer l'annonce, parce que je ne veux pas de trouble », a ajouté l'homme, qui a refusé de donner son nom.

Selon lui, le cannabis devrait être traité comme « une bouteille de Pétrus qu'on aurait achetée à la SAQ ». « Il n'y a rien qui m'empêche de le vendre sur Kijiji », a-t-il avancé.

Vérification faite, Kijiji interdit clairement la vente de cannabis, tout comme celle de produits d'alcool et de tabac. « Nous interdisons la vente de cannabis, mais aussi de tout produit contenant des concentrés de THC ou de CBD », comme les cigarettes électroniques et les huiles, a précisé le porte-parole de l'entreprise, Kent Silkstrom.

« La seule chose que nous permettons est la vente d'attirail lié au cannabis, comme les vaporisateurs, les bongs ou le papier à rouler », a-t-il ajouté.

FAIRE LA QUEUE

Un jeune homme de la Rive-Sud de Montréal propose de son côté de « faire la queue » à la place des acheteurs qui redoutent les longues files d'attente de la SQDC. Il affirme ne pas avoir encore mis son projet en oeuvre, malgré plusieurs réponses à sa petite annonce publiée sur Kijiji tout juste après la légalisation.

« Je connais du monde qui vont faire des lignes de fou pour des souliers. Je me suis dit : pourquoi on ne ferait pas ça pour du weed ? » a expliqué à La Presse cet élève, mineur, qui a échafaudé son projet avec des amis majeurs.

« J'ai déjà été payé 12 $ de l'heure pour attendre toute la nuit devant un Footlocker, a-t-il affirmé. Les gens sont prêts à payer pour n'importe quoi, ils ne veulent pas attendre. »

Le jeune homme envisage aussi d'acheter certains produits très demandés à la SQDC, comme des huiles et des atomiseurs, pour ensuite les revendre avec un léger profit à des « personnes sérieuses » majeures ou encore sur des groupes fermés sur Facebook. Il reconnaît ne pas s'être questionné sur la légalité de telles transactions.

Le porte-parole de la SQDC, Mathieu Gaudreault, rappelle que seule la SQDC est autorisée à vendre du cannabis récréatif au Québec. Il croit également que le modèle d'affaires du jeune homme a du plomb dans l'aile.

« Le week-end dernier, il y avait déjà beaucoup moins de files d'attente que la semaine précédente. Et le problème touche surtout Montréal. »

- Mathieu Gaudreault, porte-parole de la SQDC

30 GRAMMES

En vertu de la Loi sur le cannabis, en vigueur depuis la légalisation du 17 octobre dernier, les adultes peuvent posséder jusqu'à 30 grammes de marijuana achetée sur le marché légal. Toute « distribution ou vente illégale » du produit est passible d'amendes pour les petites quantités, et d'une peine d'emprisonnement maximale de 14 ans, indique le ministère fédéral de la Justice.

L'article 25 de la Loi québécoise sur l'encadrement du cannabis prévoit quant à lui des amendes allant de 5000 $ à 500 000 $ pour une première infraction.

« Lorsque nous sommes informés de situations semblables, nous transférons les dossiers aux policiers. Nous invitons aussi les gens à dénoncer ce qui peut sembler anormal à la ligne Info Cannabis, au 1 877 416-8222 », a suggéré Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole au ministère de la Santé et des Services sociaux, qui est responsable de l'application de la loi.

PÉNALITÉS « SIGNIFICATIVES »

Bill Blair, ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé, qui gère le dossier du cannabis, souligne pour sa part que la revente de produits achetés légalement constitue une « infraction » passible de « pénalités financières significatives ».

« Si les gens veulent acheter en ligne, ils peuvent aller sur les sites exploités par les provinces, a-t-il indiqué à LaPresse. Pourquoi iraient-ils voir un revendeur qui le vendrait plus cher et pourrait potentiellement altérer le produit ? »

Enfin, s'il reconnaît que d'importantes pénuries frappent actuellement l'industrie du cannabis légal partout au pays, le ministre Blair croit que le problème de la revente sur des sites comme Kijiji « se réglera par lui-même » lorsque le marché aura atteint sa vitesse de roulement.

Les algorithmes de Kijiji

Le site de petites annonces Kijiji dit utiliser des algorithmes et des systèmes de contrôle par mots-clés pour détecter les annonces illégales, mais reconnaît que certaines lui échappent. « Nous traitons au-delà de 1 million de nouvelles annonces chaque semaine, et les vendeurs n'utilisent pas nécessairement des mots-clés comme weed ou Kush pour annoncer leurs produits ; ils sont très vagues pour passer sous notre radar », explique le porte-parole Kent Silkstrom. Dans la plupart des cas, les annonces problématiques sont tout simplement retirées de la circulation, sans qu'aucune mesure supplémentaire ne soit prise. « La plupart des personnes ne sont tout simplement pas au courant que c'est illégal de revendre du cannabis, ajoute-t-il. Nous croyons qu'il est encore nécessaire de leur fournir une certaine éducation. »