Les proches d'une femme de 71 ans qui a péri dans un accident de la circulation sur la route 117, à Labelle, le 2 janvier dernier, se disent « écoeurés » par les promesses non tenues du gouvernement du Québec concernant l'amélioration de la sécurité de la seule route menant dans le nord des Laurentides et vers l'Abitibi.

Dans une lettre ouverte adressée au ministre des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports, André Fortin, un résidant de Lac-des-Écorces, Carl Coiteux, et son fils Marc dénoncent l'inaction de Québec qui n'a pas donné suite aux travaux d'amélioration de la route proposés dans un « plan d'intervention » de 200 millions, rendu public en 2011.

Le 2 janvier dernier, la conjointe de Marc Coiteux, Marie-France, a perdu la maîtrise de son automobile à Labelle, près du pont Ouellet, au-dessus de la petite rivière Rouge. Son auto s'est retrouvée dans la voie de gauche et a été percutée de plein fouet par le véhicule qui roulait en direction inverse.

« Marie-France est gravement blessée, dit Marc Coiteux, en entrevue avec La Presse. Il va lui falloir des mois pour s'en remettre. Son fils de 11 ans, qui était assis derrière, s'en est tiré avec des blessures mineures, par miracle. C'est sa tante, assise devant, côté passager, qui a pris tout le choc. »

Cette dernière, Louise Paquet, a succombé à ses blessures dans l'ambulance, en route vers Sainte-Agathe.

« L'été dernier, enchaîne M. Coiteux, mon père Carl, qui est médecin, a porté secours à un camionneur qui a mal négocié une courbe tout croche à Lac-des-Écorces, près du chalet familial. L'homme est mort dans ses bras. » 

« Ça fait deux fois en six mois qu'on est témoins de tragédies à des endroits où tout le monde sait que la route 117 est dangereuse - incluant le Ministère », dit Marc Coiteux.

« Ça fait six ans qu'ils ont promis de s'en occuper, mais ils n'ont rien fait », rage-t-il.

UNE ROUTE DES ANNÉES 50

De 2010 à 2016, sur le tronçon de la route 117 d'environ 65 kilomètres qui sépare les municipalités de Labelle et de Mont-Laurier, dans les Hautes-Laurentides, 26 personnes ont trouvé la mort et 37 autres ont été gravement blessées dans des accidents de la circulation. On y a aussi recensé 500 blessés légers et plus de 1800 accidents avec dommages matériels.

« On peut dire que c'est la pire route du Québec en tenant compte de sa longueur et du débit de circulation moyen. Pourtant, ça fait partie de la Transcanadienne, et il y en a des camions qui vont en Ontario et dans l'ouest du pays ou qui en viennent », dit le député péquiste de Labelle, Sylvain Pagé, qui a fondé dès 2004 avec les maires des municipalités riveraines un groupe de pression, le comité SOS 117, pour sensibiliser Québec à l'état de cette route.

« Ce sont de belles routes à quatre voies, dit M. Pagé. On a coupé dans les montagnes pour créer un relief aussi plat et aussi droit que possible, avec une excellente visibilité. Mais une fois passé Labelle, on retombe sur une route à deux voies où les véhicules se rencontrent à 90 km/h, avec une géométrie des années 50, pleine de côtes et de courbes serrées. Ce n'est pas un hasard si l'accident du 2 janvier est arrivé dans le secteur où la route revient à deux voies. »

« L'endroit où Marie-France a eu son accident, c'est LA courbe que personne ne voudrait prendre en hiver, précise Marc Coiteux. Ça descend et, au bout, on tourne serré à droite en direction du pont Ouellet. On le sait que ça va être glacé, qu'on risque de se casser la gueule, mais on n'a aucun choix. Tout le monde qui vit dans les Laurentides le sait. Le ministère des Transports aussi. Mais il n'y a rien qui se passe. »

DES ÉTUDES À REPRENDRE

Lundi dernier, le président du comité SOS 117 et maire de la petite municipalité de Lac-des-Écorces, Pierre Flamand, est sorti optimiste d'une rencontre avec les fonctionnaires de la direction des Laurentides du Ministère.

« Le gouvernement entreprend une étude sur le projet d'élargissement à quatre voies entre Labelle et Rivière-Rouge, dit M. Flamand. C'est la première étape du cheminement du dossier pour une décision ministérielle. C'est bien enclenché et ça m'étonnerait, maintenant, que le gouvernement recule », comme il l'a fait dans le passé. Le projet, précise-t-il, coûterait plus de 100 millions et pourrait être construit rapidement si le tracé se trouve entièrement sur des terres publiques.

Le député Sylvain Pagé, qui assistait à la rencontre, est moins optimiste. Selon lui, tout ce qui a été promis, « c'est de produire une étude sur laquelle on pourra bâtir un argumentaire quand on va rencontrer le ministre au printemps prochain, pour le convaincre de prioriser la 117. Le Ministère nous dit qu'en vertu de ses normes, il ne peut pas approuver l'élargissement d'une route sur laquelle passent moins de 10 000 véhicules par jour. » 

« On ne sent pas que le Ministère est contre, mais il va falloir encore des mois pour confirmer qu'il faut faire ce qui avait été annoncé en 2011 », dit Sylvain Pagé.

Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse, le cabinet du ministre André Fortin affirme qu'il a été convenu, le 15 janvier, « que le Ministère procède dans les prochains mois à une mise à jour de l'étude d'opportunité datant de 2011. Cette étude permettra de bonifier les données répertoriées, en considérant les changements à l'environnement routier depuis 2011. Les conclusions de l'étude guideront le Ministère dans les améliorations à apporter sur ce tronçon de la route 117 ».

« Il y a eu plus de 20 morts sur cette route depuis le plan de 2011, déplore pour sa part Marc Coiteux. Six ans après, on revient à la case départ. Comment voulez-vous, après ça, qu'on ne devienne pas cynique ? Ça me pue au nez. »

10 ans de revendications

8 JANVIER 2008

La Conférence régionale des élus des Laurentides demande par résolution à Québec de donner priorité au parachèvement du tronçon Labelle-Mont-Laurier.

3 FÉVRIER 2009

La municipalité régionale de comté (MRC) et le centre local de développement (CLD) d'Antoine-Labelle réclament des « améliorations significatives » à la route 117 auprès du ministre des Transports, Norman MacMillan.

31 MARS 2010

M. MacMillan annonce la mise à jour d'une étude d'opportunité pour l'élargissement de la route 117, accompagnée d'un échéancier des prochaines étapes vers sa réalisation.

18 AVRIL 2011

Le ministre présente un Plan de développement de la route 117 entre Labelle et Mont-Laurier, qui prévoit l'élargissement de la route à quatre voies entre Labelle et Rivière-Rouge, la construction de 12 km de voies auxiliaires (élargissement à trois voies pour les dépassements) et la correction de trois virages jugés dangereux. Un projet de 200 millions.

DÉBUT 2014

Rencontre avec le ministre des Transports sous le gouvernement de Pauline Marois, Sylvain Gaudreault.

16 FÉVRIER 2015

Présentation d'un nouveau plan d'intervention avec le ministre des Transports Robert Poëti, qui soustrait le tronçon à quatre voies entre Labelle et Rivière-Rouge.

7 AVRIL 2015

Les villes de la MRC d'Antoine-Labelle réclament unanimement le rétablissement du projet Labelle-Rivière-Rouge.

NOVEMBRE 2015

Le ministre Poëti présente un « plan révisé » sans élargissement, qui prévoit des investissements de 13 millions pour 2015-2018. Ce plan est dénoncé dans toutes les Hautes-Laurentides.

6 JUILLET 2016

Dans une lettre au comité SOS 117, le nouveau ministre des Transports, Jacques Daoust, affirme que le plan de 2011 de M. MacMillan sera inscrit à l'étude au Plan québécois des infrastructures (PQI).

SEPTEMBRE 2016

Le MTQ fait marche arrière et soustrait plusieurs éléments du projet, qui n'est pas inscrit au PQI.

15 JANVIER 2018

Le Ministère annonce au comité SOS 117 qu'il va mettre à jour les études de 2011. Le résultat de cette mise à jour guidera les interventions futures pour l'amélioration de la route 117 entre Labelle et Mont-Laurier.