Un juge de la cour municipale a sévèrement critiqué le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et le controversé règlement municipal P-6. Randall Richmond a acquitté trois accusés en estimant que l'obligation de divulguer l'itinéraire d'une manifestation ne constituait pas une infraction, une décision qui risque d'affecter des centaines de personnes aussi mises à l'amende.

Le 22 mars 2013, les policiers interviennent rapidement pour mettre fin à un rassemblement organisé au centre-ville de Montréal afin de souligner l'anniversaire de la plus importante manifestation du printemps érable. Près de 200 personnes sont interpellées et reçoivent un constat d'infraction de 634$ pour avoir omis de divulguer leur itinéraire.

Dans un jugement rendu lundi, le juge Randall Richmond, de la cour municipale, a toutefois décidé d'acquitter trois d'entre elles, estimant qu'on leur reprochait une infraction inexistante. Sur leur constat, on leur reprochait d'avoir enfreint l'article 2.1 du règlement P-6 stipulant que l'itinéraire de toute manifestation doit être divulgué aux policiers au préalable.

Après avoir lu et relu le règlement modifié par les élus montréalais dans la foulée des manifestations étudiantes, le juge Richmond conclut qu'il n'y a pas eu infraction à l'article 2.1. Pour signaler une infraction, on aurait plutôt dû invoquer l'article 6 du même règlement qui oblige les manifestants à obtempérer aux ordres des policiers, poursuit-il.

Poussant plus loin, le juge estime que, si on devait tout de même considérer qu'il y avait eu infraction à l'article 2.1, seuls les organisateurs pourraient en être tenus responsables, et non les simples participants.

Dans son jugement, le juge Richmond a été particulièrement sévère envers le SPVM, critiquant la procédure mise en place pour distribuer des dizaines de constats lors de cette arrestation de masse. Le magistrat a souligné que les officiers ayant signé les constats d'infraction ont écrit avoir constaté personnellement les infractions. Or durant les audiences, ceux-ci ont reconnu ne pas en avoir été témoins, les faits s'étant même déroulés avant leur arrivée.

Soulignant que les constats d'infraction ont la même valeur qu'un témoignage sous serment, le juge Richmond estime que ces «fausses attestations sur des constats d'infraction sont aussi graves que des faux témoignages rendus à la cour».

«La banalisation de cette violation de la loi par des officiers supérieurs du SPVM est ahurissante. Non seulement la procédure ordonnée risquait de faire condamner des innocents, elle ébranle sérieusement la confiance qu'on peut avoir dans la preuve documentaire qui est utilisée chaque année dans des milliers de poursuites pénales», tonne le juge Richmond

Le SPVM a confirmé avoir pris connaissance du jugement. «Nos contentieux sont à étudier ce qu'on fait, si on fait appel», a indiqué le commandant Ian Lafrenière. Celui-ci rappelle que l'article 2.1 avait été ajouté au règlement P-6 en mai 2012, mais n'a été utilisé pour la première fois que le 17 mars 2013. Lors de la manifestation en cause dans le jugement, l'article n'en était donc qu'à sa deuxième utilisation.

Depuis, le SPVM dit avoir modifié ses pratiques. «À la fin de l'été 2013, on avait déjà peaufiné nos pratiques. On a mis sur pied une équipe d'enquêteurs attitrés à cela», a fait valoir le commandant Lafrenière.

Répercussions importantes

Ce jugement risque d'avoir d'importantes répercussions pour des centaines d'autres personnes ayant reçu un constat similaire. Soulagé du jugement en sa faveur tombé lundi, l'un des trois accusés, Patrick René, s'est félicite du précédent que leur cause pourrait bien créer. «Je crois que ça va servir de jurisprudence pour des milliers d'autres cas.»

«On évalue que 1200 personnes peuvent être innocentées parce qu'elles ont été arrêtées seulement sur cette base de l'itinéraire», a d'ailleurs indiqué Richard-Alexandre Laniel, membre du comité légal de l'ASSÉ.

Le procureur de la Ville de Montréal avait d'ailleurs craint dans sa plaidoirie qu'«un grand nombre d'autres dossiers avec des accusations semblables risqueraient d'être affectés», advenant un acquittement. Le juge a rejeté cet argument en soulignant que «si une personne est accusée pour une infraction qui n'existe pas en droit, ce n'est pas le grand nombre d'autres personnes accusées de la même chose qui peut rendre légal quelque chose qui ne l'est pas».

Les avocats ayant déposé des demandes de recours collectifs contre les arrestations de masse ont également salué la décision du juge Richmond. «Des centaines de personnes ont été arrêtées en vertu du même article, et on a hâte de voir la suite», a confié Sibel Ataogul, de l'Association des juristes progressistes.