À bien des coins de rue, la Main de Montréal ne paie pas de mine. En janvier, La Presse a dénombré pas moins de 160 locaux inoccupés sur toute la longueur de l'artère, entre le fleuve et la rivière des Prairies. Pourtant, le boulevard se porte mieux qu'il y a deux ans, soutiennent les responsables de deux sociétés de développement commercial qui regroupent des commerçants ayant pignon sur Saint-Laurent. Qu'en est-il au juste?

Le résultat inédit de l'enquête de La Presse englobe autant les locaux à louer que les vitrines abandonnées, les bâtisses barricadées et les immeubles en rénovation.

Du lot, 47 locaux vides sont situés entre la rue Sherbrooke et l'avenue du Mont-Royal, le territoire desservi par le regroupement de marchands de la Société de développement du boulevard Saint-Laurent (SDBSL).

«Je vois mal comment, dit Glenn Castanheira, directeur général de la SDBSL. Même si j'inclus les immeubles abandonnés et les locaux qui sont en rénovation, j'arrive à peine à une trentaine», ajoute le DG de 28 ans, dont la famille exploite depuis trois générations la rôtisserie portugaise Coco Rico, qui vend 200 poulets par jour.

À notre demande, la SDBSL a examiné notre liste et a identifié 9 adresses sur les 47 qui seraient toujours occupées, malgré les apparences.

Selon la SDBSL, le taux d'inoccupation des quelque 300 locaux commerciaux au rez-de-chaussée est de 5,7%, un taux tout à fait raisonnable dans le contexte actuel. Ce taux était de plus de 12% en 2012, souligne M. Castanheira.

Or, selon nos découvertes - après avoir retiré les neuf locaux toujours occupés -, le véritable taux d'inoccupation se situe aux environs de 13% en janvier 2015.

Un creu de vague?

Pourquoi un tel écart? Dans ses calculs, la SDBSL fait aussi abstraction des commerces ou restaurants qui rouvriront dans les prochains mois. L'organisme exclut aussi de ses statistiques d'inoccupation les bâtiments en travaux ou abandonnés, comme à l'angle des Pins et Saint-Laurent. N'étant pas disponibles, «ils ne reflètent pas la performance économique du secteur», précise M. Castanheira.

«C'est symptomatique des creux de vague, dit Joël Paquin, président de Paquin recherche et associés, un expert du commerce de détail. Les propriétaires font de la spéculation. Ils attendent que le marché remonte pour espérer louer leur local vide à un meilleur taux.»

À la connaissance de M. Paquin, il n'existe pas d'études récurrentes sur le taux d'inoccupation des locaux commerciaux, hormis le décompte effectué par les sociétés de développement commercial (SDC).

Les courtiers immobiliers et les firmes d'évaluateurs qui prennent le pouls des marchés de bureaux et de locaux industriels ne le font pas pour le commerce de détail. «On a déjà sondé les propriétaires, mais l'intérêt n'y est pas», explique Frédéric Labrie, conseiller immobilier chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Faute de mieux, il faut se rabattre sur les données des SDC, qui ont chacune leur méthodologie.

À la SDC Petite Italie - Marché Jean-Talon, dont le territoire recoupe le boulevard Saint-Laurent, entre Saint-Zotique et Jean-Talon, «quand on parle de locaux vides, ils sont vides», assure Marco Miserendino, vice-président exécutif. Au dernier décompte, 10 locaux sont inoccupés sur 110 locaux commerciaux. L'organisme s'attend à ce que quatre d'entre eux trouvent un nouvel occupant d'ici l'été.

Pour sa part, La Presse a compté 23 locaux vacants entre Van Horne et Jean-Talon, un territoire plus vaste que la Petite Italie, ce qui complique la comparaison.

Lumière au bout du boulevard

Sans nier les difficultés - un exemple parmi d'autres, une vague de tagueurs a sévi dans le quartier jusqu'en décembre -, M. Miserendino voit la lumière au bout du boulevard.

«On assiste à un changement de garde sur le boulevard Saint-Laurent. Les commerces d'une trentaine d'années, qui ne se sont pas adaptés à la demande des nouveaux résidants, disparaissent et font place à de nouveaux commerces», dit le VP. Exemple: l'épicerie santé Rachelle-Béry occupera bientôt 12 000 pi2 entre les rues Shamrock et Mozart.

Pour M. Miserendino, qui est aussi copropriétaire de la Bijouterie Italienne, rue Saint-Zotique, les affaires reprennent, après avoir atteint un creux en 2012. «On a eu un mois de décembre qui a battu tous nos records historiques», dit-il, en soulignant l'apport des centaines de propriétaires des condos Le Castelnau, tout juste au nord de la Petite Italie.

«Le pire est vraiment derrière nous, renchérit Bruce Burnett, président d'Antrev, gestionnaire du 4200 et du 4396-4410, boulevard Saint-Laurent, où les locaux commerciaux avec façade sur Saint-Laurent affichent complet depuis février 2014.

Autre son de cloche chez Katrin Leblond, designer de mode, qui tient une boutique éponyme juste au nord de l'avenue du Mont-Royal. «Ce n'est pas pire qu'avant, mais ça ne s'est pas amélioré», dit-elle. Son conjoint, tenancier de l'établissement végétarien Aux Vivres, au 4631, boulevard Saint-Laurent, a eu plus de succès et vient de doubler de superficie.