Le fait est peu connu, mais Montréal a une faune urbaine incroyablement riche - et on ne parle pas de celle qui arpente le boulevard Saint-Laurent et la rue Crescent. D'est en ouest, ses 366 km2 regorgent d'animaux inattendus. Chevreuils, reptiles, amphibiens, renards, coyotes, castors et pékans ont résisté à l'avancée des humains et profitent plutôt bien du climat doux, baigné par trois grands cours d'eau, de l'archipel d'Hochelaga où s'est construite la métropole. À quand un safari montréalais? En attendant, suivez le guide.

Quand les premiers Amérindiens se sont installés dans l'île qui allait devenir Montréal, il y a quatre milliers d'années, ils ont été séduits par l'abondance de son gibier et la douceur de son climat. Devenue depuis une métropole de 1,7 million d'habitants, avec un demi-million de bâtiments et 4000 km de rues, Montréal a tout de même gardé un peu du Hochelaga de l'époque. Surtout grâce à son couvert d'arbres, qui occupe encore 20 % de sa superficie.

Et sous ses arbres, ou parfois dedans, vit toute une population montréalaise peu connue: sa faune. «Montréal offre une belle diversité d'habitats propices à une variété d'espèces floristiques et fauniques, dont des espèces à statut précaire», indique le Rapport 2013 sur la biodiversité, produit par la Ville de Montréal en vertu du programme international Local Action for Biodiversity.

«Ces grands espaces, qui comportent souvent des mosaïques de milieux naturels de grand intérêt, constituent des masses critiques pour accueillir une riche biodiversité.»

Cette abondance est pourtant peu connue des Montréalais. Si la quarantaine de chevreuils de l'est de l'île et la centaine de ratons laveurs du mont Royal ont quelques fois retenu l'attention ces dernières années, on connaît beaucoup moins les castors du parc-nature de l'Anse-à-l'Orme, dans l'ouest de l'île. Qui connaît les deux espèces qui ne vivent pratiquement qu'à Montréal, la couleuvre brune et la tortue géographique?

Et à part les mordus d'ornithologie, qui peut donner sans consulter un ordinateur le nombre d'oiseaux qu'on peut retrouver dans l'île?

Espèces peu connues

Le spécialiste incontournable de la faune montréalaise, Denis Fournier, a quelques explications sur cette ignorance. «C'est vrai que peu de Montréalais connaissent la faune de leur ville, note M. Fournier, qui est agent technique en aménagement de la Faune à la Direction des grands parcs de Montréal. Nous n'avons pas d'espèce-vedette, pas d'ours menaçants, notre plus gros prédateur est le coyote. Mais on retrouve beaucoup d'espèces d'intérêt dans toute l'île, et beaucoup de gens s'activent à les protéger.»

On retrouve une vingtaine d'espèces animales considérées comme «à statut précaire» à Montréal. Le chevalier cuivré, l'alose savoureuse, la couleuvre brune, la tortue géographique, le faucon pèlerin et le petit blongios sont les plus souvent cités dans les rapports fauniques. La principale menace, dans leur cas, est liée à la perte de leur habitat et à sa fragmentation, causées par les nouvelles constructions humaines. Pour survivre, ces populations animales comptent sur ce qu'on appelle des «mosaïques d'habitats» - bois, friches, milieux humides et cours d'eau - difficiles à conserver en milieu urbain.

«Lorsque la superficie des habitats diminue ou lorsque certains types de milieux disparaissent d'une mosaïque [comme les friches], la diversité biologique peut s'en trouver affaiblie», rappelle-t-on dans le Rapport 2013 sur la biodiversité.

L'autre grande menace, qui vise directement les végétaux mais finit par se répercuter sur la faune, c'est la présence d'espèces envahissantes. La plus connue, un petit insecte asiatique appelé agrile du frêne, pourrait à elle seule éradiquer 20 % du couvert d'arbres de Montréal. On compte également une douzaine de végétaux, comme l'érable de Norvège, le nerprun cathartique, l'orme de Sibérie, l'anthrisque des bois, la renouée japonaise et le roseau commun, dont l'invasion représente une menace pour la biodiversité et l'intégrité écologique des habitats.

La couleuvre brune

La tortue géographique

Les animaux que l'on trouve à Montréal

LES CASTORS

Leur nombre: 6

Leur habitat principal: Rivière à l'Orme

Au bout de cette rivière unique, la seule à l'intérieur de l'île, vit une population de castors soigneusement contrôlée. Les trois couples ont été capturés et stérilisés au Biodôme, et remis en liberté rapidement. «Ils sont monogames, c'est ça qui est intéressant, précise Denis Fournier. On ne peut pas stériliser les ratons laveurs, par exemple, parce que le mâle a plusieurs femelles. Les castors sont territoriaux, ils vont protéger le territoire des castors intrus.» Pas question de s'en débarrasser, puisque leurs barrages créent des milieux humides « extrêmement riches ». Mais pas question non plus de les laisser proliférer, puisque chaque castor abat en moyenne 216 arbres par année.

LES COULEUVRES BRUNES

Leur nombre: quelques centaines

Leur habitat principal: la falaise Saint-Jacques

Pour son plus grand malheur, cette couleuvre à statut précaire, que l'on retrouve presque exclusivement à Montréal, adore les terrains vagues qui sont souvent choisis pour de nouveaux projets de construction. Les travaux pour la reconstruction de l'échangeur Turcot, qui a forcé le déplacement de quelques dizaines d'entre elles de la falaise Saint-Jacques, en 2011, en ont été un exemple classique. «Elle affectionne les terrains vagues, là où il y a des détritus, du bois mort, elle va se réfugier là-dedans, ajoute Denis Fournier. Vous imaginez le défi qu'il y a à la protéger.» En novembre 2013, un projet de recherche de l'Université de Montréal a constaté que la couleuvre brune avait disparu de trois des dix sites où on avait échantillonné sa présence.

LES CHEVREUILS

Leur nombre: 41

Leur habitat principal: Parc-nature de la Pointe-aux-Prairies (également présents au parc-nature de l'Anse-à-l'Orme)

Depuis 2005, on sait grâce à un inventaire aérien qu'il y a une surpopulation de chevreuils dans l'est de l'île, plus précisément dans le parc-nature de la Pointe-aux-Prairies. En février, on en a répertorié exactement 41, soit 4 fois plus que ce que le parc peut supporter. Résultat: «la régénération de la flore est inexistante», indique un rapport de la Ville datant de 2011. Affamés, les chevreuils sortent de plus en plus souvent de la forêt, broutent dans les cours des voisins et provoquent des accidents routiers. Un forum réunissant fonctionnaires, élus et citoyens s'est tenu le 12 juin pour trouver une solution. On pourrait autoriser une chasse contrôlée, stériliser les femelles, les déporter, vaporiser la végétation d'un produit répulsif ou clôturer le parc.

LES RATONS LAVEURS

Leur nombre: une centaine

Leur habitat principal: le parc du mont Royal

Présents dans toute l'île, les ratons laveurs sont devenus de véritables fléaux au parc du mont Royal, où on en compte une centaine, soit trois fois plus que la norme. Nourris par les visiteurs, habiles à vider les poubelles, ils souffrent d'embonpoint et deviennent agressifs quand on leur refuse l'aumône. «On continue encore à sensibiliser, on travaille beaucoup à sensibiliser les gens, à les informer du danger de transmission des maladies, mais il y a 20 % d'irréductibles "nourrisseurs"», déplore Denis Fournier. Même si on n'a relevé aucun cas de rage depuis 2011, on continue d'épandre des vaccins contenus dans de petits «raviolis».

LA TORTUE GÉOGRAPHIQUE

Leur nombre: entre 600 et 1000

Leur habitat principal: Lac des Deux-Montagnes, Rivière-des-Prairies

Cette espèce vulnérable, aussi typiquement montréalaise que la couleuvre brune, fait l'objet d'un plan de protection élaboré dans l'ouest de l'île. «On a posé des colliers émetteurs afin d'avoir les sites sensibles, dit Denis Fournier. Au Cap-Saint-Jacques, il va y avoir construction d'un observatoire sur la pointe est de la plage.» Les spécialistes comptent beaucoup sur la surveillance des propriétaires de terrains au bord des cours d'eau, où ces petites tortues vont pondre. «Le défi, c'est qu'il y a beaucoup de terrains privés, dit M. Fournier. On a une bonne collaboration: à Senneville, quelques propriétaires nous permettent d'aller sur leur terrain pour faire du dénombrement, protéger les nids.»

LES PÉKANS ET LES ASSAPANS

Leur nombre: inconnu

Leur habitat principal: probablement dans l'ouest de l'île

Cette année, on espère confirmer la présence de deux animaux mystérieux qui auraient été aperçus dans les environs de Pierrefonds: le pékan et l'assapan. Le premier est une sorte de grosse belette - le mâle peut atteindre 1,2 m de la queue au museau - très agressive. Il peut attaquer aussi bien des lapins que des chats, voire des ratons laveurs. «On pense qu'on en a vu, on aimerait confirmer sa présence, précise Denis Fournier. Le pékan, c'est une espèce qu'on ne voit pas dans nos parcs-natures.» Quant à l'assapan, appelé aussi polatouche ou écureuil volant, il est inscrit comme «susceptible d'être désigné espèce menacée ou vulnérable» et sa présence est exceptionnelle à Montréal. «On veut faire des inventaires, faire plus d'observations sur ces animaux-là», annonce M. Fournier.

LES RENARDS

Leur nombre: une vingtaine

Leur habitat principal: partout dans l'île

Ce petit canidé roux, dont la réputation de ruse le suit depuis un millénaire, se retrouve un peu partout à Montréal. Friand de petits animaux - souris, pigeons, écureuils et même chats -, il est devenu un habitué des villes depuis une cinquantaine d'années. On rapporte notamment sa présence sur le mont Royal, au cimetière Côte-des-Neiges et au Jardin botanique - où les observateurs ont vu cinq bébés au printemps 2013. À ce dernier endroit, on apprécie particulièrement leur présence, «car ils exercent une pression de prédation non négligeable sur plusieurs animaux qui broutent et détruisent les plantations», indique sur son blogue Jacques Dancosse, vétérinaire et conseiller scientifique au Biodôme. Inquiets de la trop grande proximité de la petite famille avec les visiteurs, lui et son équipe ont réussi sans capture à les forcer à se déplacer dans un endroit plus discret.

LES COYOTES

Leur nombre: quelques dizaines

Leur habitat principal: Cap-Saint-Jacques; est de l'île

On connaît peu la population de coyotes montréalaise, qu'on détecte essentiellement par leurs hurlements et les carcasses de leurs proies, comme les chevreuils. S'ils préfèrent les vastes zones boisées des pointes Est et Ouest, des trappeurs en ont capturé trois au printemps 2013 en zone urbaine, sur le site d'entretien de VIA Rail à Pointe-Saint-Charles. «C'est le plus gros prédateur à Montréal, dit Denis Fournier. On relève sa présence par des observations, on le suit de près, mais on préfère qu'il n'ait pas d'interactions avec les humains. Il commence alors à avoir moins peur et les problèmes de nuisances apparaissent.»

Le pékan

L'assapan

La nature montréalaise en chiffres

120 espèces d'oiseaux (200 en période de migration)

270 espèces de papillons

13 espèces d'amphibiens

8 espèces de reptiles

80 espèces de poissons

20 espèces animales à statut précaire

5,76 % milieux naturels intérieurs protégés

20 % indice de canopée (objectif 25 % d'ici 2025)

1,2 million d'arbres sur le domaine public, autant sur les terrains privés

56 genres d'arbres dans la forêt publique

23 km2 de terrains boisés

15 km2 de friches et champs

7 km2 de milieux humides intérieurs

Source : Ville de Montréal

Données pour l'agglomération de Montréal