Cinq mois après sa nomination à la tête de l'Agence métropolitaine de transport (AMT), Nicolas Girard a senti le besoin de mettre fin au système de privilèges et de cadeaux qui avait cours au sein de l'organisme public. La nouvelle orientation du PDG de l'AMT est clairement énoncée dans une note aux employés, que La Presse a obtenue.

«À partir d'aujourd'hui, il sera interdit d'accepter ou de solliciter toutes formes de cadeaux, d'invitations ou toutes marques d'hospitalité, et ce, peu importe sa valeur», a écrit Nicolas Girard par courriel le 14 février 2013. Ce changement vaut, précise-t-il, pour le paiement d'un repas au restaurant, un laissez-passer ou une invitation pour un congrès, une conférence, un colloque ainsi que pour tous les billets de hockey ou de spectacle.

Avant d'en arriver à ce ton impératif, M. Girard réitère sa confiance à l'égard de son équipe. De plus, il souligne les valeurs qu'il prône: honnêteté, intégrité et transparence. «Au cours des dernières années, certains événements de l'actualité ont accéléré la réflexion de plusieurs entreprises et ont démontré la complexité des rapports qu'entretiennent un certain nombre d'organisations avec leurs intervenants», ajoute le nouveau PDG.

Lorsque cette note a été transmise, l'AMT avait déjà un code d'éthique depuis 2009. En 2012, il avait même été révisé à la suite de l'embauche des inspecteurs au sein de l'organisme et la mise en place d'une ligne de signalement en matière de fraude et d'irrégularité. Mais cela ne suffit vraisemblablement pas aux yeux de M. Girard, qui souhaite «instaurer les bases d'une nouvelle dynamique orientée sur le bien commun de l'AMT». «Faisons les choses autrement», lance-t-il à ses troupes.

Proximité douteuse

Vendredi dernier, les documents judiciaires afin d'appuyer la demande de l'Unité permanente anticorruption pour obtenir un mandat de perquisition à l'AMT ont révélé que M. Girard aurait joué un rôle important dans l'enquête policière. Dès son entrée en fonction, à l'automne 2012, M. Girard «a constaté quelques irrégularités dans les activités de son prédécesseur». C'est ainsi qu'il a demandé à son adjointe de retrouver les agendas de Joël Gauthier. L'information a été transmise à la police.

Lors de la perquisition effectuée le 1er mai dernier à l'AMT, l'UPAC a saisi de la documentation, sur papier et informatique.

Dans les jours qui ont suivi, La Presse a mis la main sur certains extraits des agendas de Joël Gauthier ainsi que sur quelques échanges de courriels, et ce, de deux sources différentes. On y retrouve des exemples concrets de relations étroites entre M. Gauthier et de hauts dirigeants de firmes de génie, dont certaines qui avaient des contrats avec l'AMT.

Ainsi, on constate que M. Gauthier a notamment rencontré Paul Lafleur (BPR), Luc Benoît (Tecsult), Jean-Pierre Sauriol (Dessau), Yves Cadotte (SNC-Lavalin), Michel Lalonde (Groupe Séguin) et des représentants de Roche, Cima et Axor. Les rendez-vous étaient prévus dans des restaurants comme le Muscadin, La Cantina, Da Emma, Latini, Chez Ferreira ou Milos, ou dans des clubs privés tels que le 357C, le Club Mont-Royal ou le défunt Club Saint-Denis.

Mais le cercle de relations de M. Gauthier ne se limite pas aux firmes de génie. L'agenda de juillet 2005, par exemple, indique un rendez-vous avec le député libéral Tony Tomassi. À l'époque, ce dernier était vice-président de la Commission des transports et de l'environnement. Le lendemain, Joël Gauthier devait rencontrer, pour le petit-déjeuner, l'entrepreneur Tony Accurso et le vice-président de Dessau, Rosaire Sauriol. Deux mois plus tard, MM. Gauthier et Accurso se sont de nouveau rencontrés.

Contexte difficile

De plus, les échanges de courriels apportent un éclairage plus précis sur la nature des fréquentations du PDG de l'AMT. Ainsi, le 30 novembre 2010, Yanick Bouchard, vice-président chez Génivar, envoie un long courriel à M. Gauthier en soulignant d'entrée de jeu qu'il a hâte de prendre du recul et des vacances, compte tenu du «contexte actuel».

Il est question d'une journée de ski qu'il est en train d'organiser, mais qui «est plus compliquée qu'anticipé». «Avec tout ce qui se passe, il y a beaucoup de monde qui n'ose plus être présent pour ce type de sortie», écrit M. Bouchard. Ce dernier termine son message en proposant d'organiser «une petite soirée au Centre Bell [s'il a] toujours le droit. C'est rendu compliqué de comprendre qui a le droit de respirer».

À cela, Joël Gauthier répond succinctement: «Pas de problème. Je respire très bien.»

Une semaine avant cet échange, Le Devoir a révélé que l'escouade Marteau enquêtait sur neuf firmes de génie-conseil (club des neuf) qui se partageraient les contrats publics dans l'industrie de la construction. Les acteurs de cette collusion seront finalement identifiés deux ans plus tard lors des travaux de la commission Charbonneau.

Le 21 décembre 2010, M. Bouchard envoie un autre courriel à M. Gauthier pour faire un suivi concernant la sortie de ski qui est reportée le mois suivant. Le vice-président de Génivar note alors que «les chèques seront ramassés avant le 31 décembre de cette année». «L'objectif discuté lors de notre déjeuner sera atteint. Au moins 30 personnes», écrit M. Bouchard.

À cela, Joël Gauthier a répondu à La Presse qu'il n'avait «aucune idée» de ce qu'était cette sortie de ski. Il a précisé ne pas être un skieur et ne pas avoir participé à une telle activité. M. Gauthier a toutefois indiqué que Yanick Bouchard est un de ses bons amis.

Yanick Bouchard n'a pas répondu aux questions de La Presse.

- Avec la collaboration de Patrick Lagacé