Des livraisons de tabac par drone chaque semaine, des «présidents de la wing» qui «taxent» les détenus, une surpopulation « récurrente » dans tout le système correctionnel québécois: le dernier témoin de la Couronne a brossé un portrait troublant des relations entre la direction de la prison de Bordeaux et les puissants «comités de détenus», au procès pour meurtre au premier degré de Tarik Biji, Garmy Guerrier et Jason Côté.

Le rôle de ces comités de détenus et leur mainmise sur le trafic de tabac sont au coeur de ce procès devant jury qui tire à sa fin au palais de justice de Montréal. Les accusés ont annoncé mardi qu'ils ne présenteraient pas de défense. Selon la thèse de la Couronne, Tarik Biji était le représentant du comité de détenus de l'aile D6, le 21 juin 2016, lorsque les trois accusés auraient battu à mort Michel Barrette dans une cellule pour quelques grammes de tabac. Il est mort d'une hémorragie interne deux heures plus tard.

Les agents correctionnels de l'Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux) communiquent avec les deux « porte-parole » désignés par leurs pairs pour « passer des messages » dans leur secteur, a expliqué mardi Sylvie Eva Roy, chef d'unité du secteur où Michel Barrette est mort. La juge Hélène Di Salvo a levé partiellement hier l'ordonnance de non-publication sur son témoignage.

Si l'entrée en cellule ne se fait assez rapidement ou si des détenus ont des problèmes de comportements, les agents vont « passer » par ces deux « représentants pour passer des messages au secteur de 50 personnes », a cité comme exemple Mme Roy, qui travaille à Bordeaux depuis 26 ans. Toutefois, la direction ne sait « jamais » si ces « représentants » sont en fait un « front » ou les réels décideurs, admet-elle.

En fait, le comité de détenus ne se limite pas à deux personnes, dit-elle. « C'est facilement plusieurs personnes qui gravitent, se donnent du pouvoir et vont taxer des gens, faire peur aux gens, essayer d'obtenir par tous les moyens qui leur sont possibles de la cantine, de l'argent, des privilèges », explique-t-elle.

Un agent correctionnel a raconté pendant le procès que les comités de détenus se faisaient de l'« argent facile » en contrôlant le trafic de tabac, de drogue et de cellulaires à Bordeaux. Comment les détenus désignent-ils leurs leaders ? « J'ai l'impression que c'est celui qui veut avoir le plus de pouvoir qui va avoir le secteur », avance la chef d'unité.

LA SURPOPULATION, UN PHÉNOMÈNE « RÉCURRENT »

La surpopulation à la prison de Bordeaux est un phénomène « récurrent » depuis environ six ans. Elle frappe non seulement cet établissement, mais tout le « système correctionnel », soutient Mme Roy. Ainsi, ce n'était pas une situation « hors du commun » d'avoir plus de 50 détenus dans le secteur D6 le jour du meurtre, alors que la capacité était bien moindre.

Depuis l'interdiction du tabac derrière les barreaux il y a quelques années, le trafic de tabac est un problème « constant », selon Sylvie Eva Roy. « On a des drones hebdomadaires », dit-elle.

Une cigarette vaut 10 $ et une blague de tabac, environ 100 $, selon ses informations. « Tout dépend, j'imagine, de l'offre et la demande. S'il y en a énormément, s'il y a des drones en quantité, qu'il y a plein de tabac à l'intérieur de la prison, peut-être que le prix va descendre un peu », suggère la témoin.

Cinq agents correctionnels travaillaient au secteur D6 le soir du meurtre, selon Mme Roy. À cette époque, elle leur demandait de faire des rondes toutes les 90 minutes au maximum, mais aussi de « façon irrégulière », comme après 45 minutes, pour que les détenus ne sachent pas le moment précis d'une ronde.

Néanmoins, dès que les agents entrent dans le secteur, un « guetteux » siffle ou crie pour prévenir ses comparses de leur présence, a-t-elle ajouté en contre-interrogatoire.

Les plaidoiries auront lieu lundi prochain.

Photo La Presse

Selon la thèse de la Couronne, Tarik Biji était le représentant du comité de détenus de l'aile D6, le 21 juin 2016, lorsque les trois accusés auraient battu à mort Michel Barrette.

Photo La Presse

Garmy Guerrier