Les « comités de détenus » se font de « l'argent facile » à la prison de Bordeaux en contrôlant le trafic de tabac, de drogue et de cellulaires. Ils mènent même parfois un véritable « règne de terreur » dans leur secteur. Un gardien de prison expérimenté a livré ses observations sur ces puissants comités au procès pour meurtre prémédité de Tarik Biji, Garmy Guerrier et Jason Côté.

« [Les membres du comité] ont la position pour pouvoir contrôler ce qui se passe dans le secteur. Qui a la drogue ? Qui a le tabac ? Ils en profitent, c'est de l'argent facile pour eux. C'est rentable. La proportion est grande de gens qui sont du comité et qui en retirent profit », a expliqué vendredi l'agent des services correctionnels Dominic Préfontaine, qui travaille depuis neuf ans à l'Établissement de détention de Montréal. Il était appelé à la barre puisqu'il a effectué des manoeuvres de réanimation sur la victime, Michel Barrette.

Ces « comités » sont au coeur de ce procès devant jury qui se déroule depuis deux semaines au palais de justice de Montréal. Le coaccusé Tarik Biji était le « représentant » du comité de détenus de l'aile D6 de la prison de Bordeaux, le 21 juin 2016, avance la poursuite. Ce soir-là, il aurait « convoqué » dans sa cellule Michel Barrette et l'aurait tabassé pendant 22 minutes avec ses complices pour quelques grammes de tabac. La victime serait ensuite restée plus de deux heures dans sa cellule, avant de succomber à une hémorragie interne à sa sortie du secteur.

FONCTIONNEMENT ET POUVOIRS

Sans jamais parler des trois accusés, l'agent Préfontaine s'est prononcé en contre-interrogatoire sur le fonctionnement et les pouvoirs de ces comités entre les murs de la prison de Bordeaux. « Le comité de détenus, en gros, s'occupe de la gestion de tout ce qui se passe à l'intérieur du secteur, des trucs qui ne nous concernent pas », résume-t-il.

Les comités peuvent ainsi imposer certaines règles à leurs codétenus, par exemple l'heure où il est permis de tirer la chasse d'eau le matin. Le comité vérifie aussi les « mémos » remis au personnel par les détenus pour s'assurer qu'aucune « information » ne soit donnée aux agents.

« Et aussi, on se le cachera pas, c'est les gens qui ont le dernier mot à dire sur tout ce qui est trafic à l'intérieur : tabac, drogue, cellulaires, ces choses-là. » - Dominic Préfontaine, agent des services correctionnels à l'Établissement de détention de Montréal

« La direction de la prison tolère-t-elle ces comités ? », s'est interrogé l'avocat de Tarik Biji, Me Gary Martin, vendredi. « C'est pas une question que c'est toléré. C'est un peu difficile de contrer ça, parce que tout se passe à l'intérieur du secteur. Donc, on n'a pas la possibilité d'entendre ce qui se dit, a rétorqué l'agent. C'est pas une tolérance, c'est une réalité. »

COMPOSITION

Les détenus les plus « forts », capables de « mieux intimider les autres », font généralement partie du comité de détenus, observe l'agent. Ensuite, peu de gens peuvent les « détrôner ». Par contre, un nouveau venu peut se joindre au comité dès le premier jour grâce à ses « connaissances » et aux groupes auxquels il est affilié.

« Le standing qu'ils ont à l'extérieur fait que cette personne est pesante, elle est importante, et elle est possiblement même dangereuse à l'extérieur, donc les personnes vont leur donner ce pouvoir-là pour pas avoir des répercussions une fois ressorties », poursuit l'agent.

Les agents correctionnels interviennent toutefois lorsqu'ils apprennent qu'un comité mène un « règne de terreur » dans un secteur, témoigne l'agent Préfontaine. Ils peuvent alors « retirer » ou « déplacer » certains membres. Cependant, les gardiens ne savent pas toujours quels détenus font partie du comité, comme l'avait déjà expliqué une autre agente au début du procès.

BLESSURES MORTELLES À LA RATE

Michel Barrette s'est pratiquement fait briser toutes les côtes avant de mourir. C'est néanmoins une hémorragie interne provoquée par de multiples déchirures à la rate qui a principalement causé sa mort, a conclu le pathologiste judiciaire Yann Dazé.

Fractures du crâne, du sternum et des côtes, énorme contusion au thorax, poumon embroché : l'autopsie a révélé l'ampleur des blessures subies par Michel Barrette le 21 juin 2016.

Selon le Dr Dazé, des coups de pied et des coups de poing auraient pu causer ces blessures. Il est également possible que la victime ait survécu deux heures et quart après l'agression, comme le soutient la poursuite. Son interrogatoire se poursuit demain.