L’État a-t-il été complice de la faillite frauduleuse de son témoin ?

Le Hells Angel de la section de Montréal Vincent Boulanger et quatre présumés complices, arrêtés à l’issue d’une importante enquête de trafic de stupéfiants, sont repartis libres comme l’air jeudi des prisons où ils étaient détenus depuis deux ans.

Les cinq hommes devaient bientôt subir leur procès devant jury pour trafic de drogue et gangstérisme, au palais de justice de Montréal, mais la poursuite a déposé un nolle prosequi (abandon d’une action judiciaire) jeudi et le juge Michel Pennou de la Cour supérieure a alors ordonné la libération des accusés.

Lorsqu’elle dépose un nolle prosequi, la poursuite n’est pas tenue d’expliquer sa décision et elle ne l’a pas fait, mais les temps étaient durs pour elle et pour la Sûreté du Québec (SQ) en salle d’audience depuis déjà plusieurs semaines.

Syndic tenu dans l’ignorance

Boulanger et ses présumés complices ont été arrêtés à l’issue d’une enquête de l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO) baptisée Percuter et qui reposait en bonne partie sur le témoignage d’un ancien trafiquant devenu témoin collaborateur pour la police, qui avait signé un contrat de 200 000 $ avec l’État.

Or, alors qu’il avait commencé à travailler pour la police et se trouvait sous la responsabilité du Bureau des témoins collaborateurs et de la Direction de la protection des témoins de la SQ, en 2021, le témoin collaborateur a fait une faillite de 250 000 $.

Lors d’une faillite, une personne doit révéler tous ses actifs et revenus, et le témoin n’a pas dévoilé au syndic qu’il recevrait éventuellement 200 000 $ de l’État, dont 50 000 $ le jour des arrestations des accusés.

De plus, le témoin collaborateur a été officiellement libéré de sa faillite le 9 mars 2022, les mandats d’arrestation ont été obtenus par les policiers le lendemain et Boulanger et les autres ont été arrêtés six jours plus tard, le 15 mars.

Le syndic n’a pu récupérer que 860 $ qu’il a répartis entre certains créanciers.

Un scandale, selon la défense

Les avocats de la défense ont présenté des requêtes en « arrêt des procédures en raison du comportement abusif de l’État » et en divulgation de preuve.

Ils ont poussé la poursuite et la Direction de la protection des témoins (DPT) dans leurs derniers retranchements alors qu’ils ont appelé à la barre des témoins une procureure du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales et un responsable de la DPT qui devaient témoigner jeudi et vendredi.

Mais la poursuite a abandonné ses procédures jeudi après-midi, avant le début de ces témoignages annoncés.

« On est très contents. On pense que la Couronne a pris la bonne décision parce que le juge, mercredi, commençait à montrer des signes assez clairs de ce qu’il pensait », a réagi MChristian Gauthier, avocat de Vincent Boulanger.

« On reproche à la SQ d’avoir fait preuve d’aveuglement volontaire sur les agissements de son témoin, ses déclarations au syndic sont mensongères, il a menti sur ses actifs, et la SQ les connaissait. »

« C’est un scandale. Les créanciers ont tous été lésés. Le témoin avait 250 000 $ de dettes et ils ont reçu 800 $. Et ces gens-là n’ont jamais été avisés jusqu’à aujourd’hui [jeudi]. Ils n’ont jamais su qu’il avait des actifs et un contrat avec la SQ », a poursuivi MGauthier.

« C’est une sage décision, car le juge avait laissé savoir qu’il avait de la difficulté à concilier le comportement de la SQ dans sa gestion du témoin et une opinion juridique qu’elle avait eue », a renchéri MMarc Labelle, avocat de Mickael Lauzon.

« C’est comme si l’État s’était rendu complice d’une faillite frauduleuse dans laquelle les créanciers sont lésés de 200 000 $. C’est exactement ça, point à la ligne », a ajouté MLabelle.

Il a été dit en salle d’audience que la SQ a déclenché une enquête sur cette présumée faillite frauduleuse.

Outre Boulanger et Lauzon, les trois autres accusés libérés sont Gianni D’Alfonso, Jonathan Gravel et Yann Graveline-L’Écuyer.

L’enquête Percuter a été une longue enquête dans laquelle Boulanger était la cible principale.

Il y avait deux volets à l’enquête ; un de trafic de stupéfiants et un autre de blanchiment d’argent par le biais de centres de location de véhicules de luxe.

Plus d’une vingtaine d’individus avaient été arrêtés en tout, dont plusieurs ont reconnu leur culpabilité et ont été condamnés.

Les autres avocats de la défense dans ce dossier étaient MKim Hogan, MGunar Dubé, MMathieu Bédard et MLudovic Dufour.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Qui est Vincent Boulanger ?

52 ans

Ancien membre des Hells Angels de Sherbrooke, il est devenu secrétaire de la section de Montréal.

Arrêté lors de l’opération SharQc en avril 2009, il a fait partie du groupe de 31 individus accusés de trafic de stupéfiants libérés en raison des délais déraisonnables appréhendés.

En 2015, il a plaidé coupable à des chefs de complot et de trafic de stupéfiants, et a été condamné à 45 mois d’emprisonnement.

Il a fait partie d’un groupe de Hells Angels qui s’étaient retrouvés dans une zone réservée autour de l’arène lors d’un gala de boxe tenu au Centre Pierre-Charbonneau à Montréal en septembre 2019.