Malgré les années qui passent, malgré les critiques d’un juge sur son travail, malgré une poursuite de 10 millions de dollars en dommages, la Sûreté du Québec persiste et signe : Jonathan Bettez, un résidant de Trois-Rivières âgé de 43 ans, demeure le principal suspect du meurtre de la petite Cédrika Provencher, disparue en 2007.

« Jonathan Bettez demeure à ce jour le principal suspect dans le dossier concernant la disparition, l’enlèvement et le meurtre d’une fillette de 9 ans », écrivent les avocats du corps policier dans de nouveaux documents déposés en cour.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan Bettez en 2016

Les documents ont été déposés dans le cadre d’un litige civil entre M. Bettez et les autorités. M. Bettez et sa famille poursuivent la police et le gouvernement, à qui ils exigent 10 millions de dollars en dommages. Ils affirment que la police a ruiné la vie de M. Bettez en le présentant faussement comme le responsable d’un drame qui avait ému le Québec au complet.

Avant que l’affaire soit jugée sur le fond, le Procureur général du Québec a demandé à ce qu’une partie des audiences préliminaires dans le dossier de la poursuite en dommages se déroule à huis clos, pour protéger ses moyens d’enquête. C’est à cette fin que les avocats de la police viennent de réitérer officiellement que M. Bettez demeure le suspect numéro un. Ils ajoutent que l’enquête demeure active.

« Ça soulève le doute »

Des extraits de l’interrogatoire préalable d’une enquêteuse de la Sûreté du Québec ont aussi été déposés à la cour. Celle-ci revient sur les raisons qui poussent les policiers à suspecter M. Bettez, encore à ce jour.

Des témoins ont permis aux enquêteurs de déterminer que Cédrika Provencher avait été approchée par un homme qui disait chercher un chien, avant sa disparition. L’homme conduisait une Acura rouge avec plusieurs caractéristiques particulières. Seules six personnes possédaient un véhicule semblable. Cinq ont fourni un alibi vérifiable.

Il y a un seul propriétaire qui n’est pas capable de donner d’alibi. Et le propriétaire de cette Acura-là, c’est monsieur Jonathan Bettez.

Chantal Daudelin, enquêteuse de la Sûreté du Québec

M. Bettez a aussi refusé à plusieurs reprises de se soumettre à un test de polygraphe, le fameux « détecteur de mensonges ».

« Le fait de refuser, ça ne prouve pas qu’il est coupable, j’en suis très consciente, mais ça soulève le doute », a-t-elle ajouté.

« La Sûreté fait juste demander d’écarter monsieur Bettez, mais il ne nous laisse pas la possibilité de le faire », déplore-t-elle.

Des témoins oculaires auraient écarté Bettez

La policière a dit voir des ressemblances entre le visage de M. Bettez et un portrait-robot réalisé à l’aide des souvenirs de témoins qui avaient vu l’homme à l’Acura rouge. Une ressemblance niée catégoriquement par les avocats de Bettez.

« Les portraits-robots et la description physique des témoins oculaires de l’évènement ne correspondent pas à Jonathan Bettez », affirme Me Jessy Héroux, l’avocat de la famille Bettez, dans un document déposé à la cour.

Me Héroux annonce même qu’il attaquera cet argument au cours du procès civil.

Des témoins oculaires ont écarté Jonathan Bettez lors d’une parade d’identification et indiqué qu’il ne correspondait pas à la personne qu’ils avaient aperçue.

Me Jessy Héroux, l’avocat de la famille Bettez

« Un portrait-robot, ça reste un portrait-robot, mais il y a des similarités, même des ressemblances », affirme de son côté l’enquêteuse Daudelin dans son interrogatoire préalable.

Elle ajoute que la description des vêtements portés par l’homme qui avait approché Cédrika Provencher évoque une tenue de golf et que M. Bettez affirme avoir joué au golf cette journée-là.

Une déviance qui soulève le doute

Elle revient par ailleurs sur un des aspects les plus controversés de l’enquête visant M. Bettez. En 2015, comme M. Bettez demeurait le seul propriétaire d’Acura incapable de fournir un alibi, les policiers ont eu l’idée de vérifier s’il consommait de la pornographie juvénile.

Les enquêteurs affirment avoir découvert que l’adresse IP d’un ordinateur utilisé par M. Bettez, pendant les heures où il y avait accès, fréquentait des plateformes d’échanges de fichiers de pornographie juvénile.

Ils disent aussi avoir découvert des traces de fichiers évoquant de la pornographie juvénile qui auraient été effacés sur un support informatique trouvé en sa possession.

Sur la base de cette découverte, M. Bettez a été arrêté et accusé en lien avec la pornographie juvénile en 2016. La preuve de la police indiquait clairement que les démarches des enquêteurs étaient liées au meurtre de Cédrika Provencher. Le nom et la photo de M. Bettez ont fait le tour du Québec. Celui-ci dit avoir été incapable de retrouver une vie normale et avoir énormément souffert de l’étiquette qui lui a été attachée.

En 2018, un juge a acquitté M. Bettez en décrétant la preuve insuffisante et en reprochant à la police des démarches abusives et une « partie de pêche ». C’est par la suite que M. Bettez et sa famille ont déposé une poursuite en dommages en reprochant à la police ses actions d’une « cruauté inouïe ».

« La Sûreté du Québec voulait nuire à Jonathan Bettez, convaincue, malgré l’absence de motifs raisonnables, qu’il était responsable de la disparition de Cédrika Provencher », précise la poursuite.

Mais dans son interrogatoire préalable, la policière Daudelin explique que l’enjeu de la pornographie juvénile semblait pertinent dans le cadre d’une enquête sur le rapt et le meurtre d’une enfant de 10 ans.

« C’est clairement une déviance qui justifie et qui soulève le doute encore plus sur monsieur Jonathan Bettez », dit-elle.

Différent des autres

« Tous ces éléments-là, c’est des éléments qui font que dans cette enquête-là, monsieur Jonathan Bettez, à ce jour, est encore un suspect. Un suspect qu’on a tenté à maintes reprises d’être capable d’écarter. On a tout, tout, tout vérifié. Il est loin d’être le seul suspect qui a été enquêté dans ce dossier-là », a martelé la policière.

« La différence entre monsieur Jonathan Bettez et tous les autres, c’est que tous les autres, on a pu corroborer leur version, et sinon, bien ils ont accepté de passer des tests polygraphiques », a-t-elle déclaré.

Le dossier reviendra devant la cour le 22 janvier.

L’histoire jusqu’ici

  • 2007 : Cédrika Provencher, 9 ans, disparaît à Trois-Rivières. La Sûreté du Québec déclenche une enquête. Les ossements de l’enfant seront retrouvés des années plus tard dans un espace boisé.
  • 2015 : Après des années d’enquête infructueuse, la police décide de vérifier si le seul suspect sans alibi, Jonathan Bettez, consomme de la pornographie juvénile, ce qui pourrait être accablant pour lui.
  • 2016 : Jonathan Bettez est arrêté et accusé de 10 chefs d’accusation liés à la possession, la distribution et l’accession à de la pornographie juvénile.
  • 2018 : Un juge acquitte M. Bettez de tous les chefs liés à la pornographie juvénile et critique la police pour une « opération de pêche » et des démarches d’enquête abusives.
  • 2019 : Jonathan Bettez et sa famille déposent une poursuite contre les autorités et réclament 10 millions en dommages pour avoir brisé sa vie et sali son nom.