(Laval) La mort de Sabrina et d’Amanda De Vito restera un mystère. Reconnue coupable deux fois d’avoir tué ses filles de 8 et 9 ans, Adèle Sorella, femme d’un mafieux, a été acquittée lundi au terme du troisième procès, en raison des « lacunes » dans la preuve et de la possibilité que la mafia ait pu tuer les fillettes.

Quand la juge Myriam Lachance a conclu la lecture de son jugement-fleuve au palais de justice de Laval, des proches ont enlacé une Adèle Sorella en larmes. Certains ont même applaudi la juge. Après trois procès et 15 ans de calvaire, la femme de 57 ans était finalement acquittée.

Si Adèle Sorella n’est pas la meurtrière, qui a assassiné Sabrina et Amanda ? La juge ne répond pas à cette question. Elle n’avait pas à le faire, d’ailleurs. Le mystère risque ainsi de ne jamais être résolu.

Le 31 mars 2009, Adèle Sorella quitte sa résidence sans donner de nouvelles. Elle sera retrouvée pendant la nuit dans sa voiture accidentée. Ses filles Amanda et Sabrina sont retrouvées mortes par leurs oncles en fin de journée. Elles sont côte à côte dans le salon et portent toujours leurs uniformes d’écolières. Il n’y a aucune trace de violence ou d’entrée par effraction.

Deux morts inexplicables

La science est confondue. La mort des fillettes est inexplicable. Une mort naturelle simultanée est toutefois exclue. Une thèse est avancée par la Couronne : les deux filles seraient mortes par asphyxie dans une chambre hyperbare. Cet appareil sert à donner de l’oxygène plus concentré à une personne. La famille Sorella l’utilisait pour soigner l’arthrite juvénile de la fille cadette.

Il est incontestable que l’accusée a eu l’occasion de tuer ses enfants.

Extrait du jugement de la juge Myriam Lachance

Or, la magistrate ne croit pas qu’Adèle Sorella avait les connaissances requises pour utiliser la chambre hyperbare de façon létale. Un expert a en effet eu du mal à trouver la façon et la durée (90 minutes) pour y tuer les deux fillettes. De plus, il n’y avait aucune trace de fibre de vêtements des enfants à l’intérieur de l’appareil et aucune trace d’ADN des enfants sur l’accusée.

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La chambre hyperbare trouvée chez Adèle Sorella a été exposée dans la salle d’audience au bénéfice du jury, lors du premier procès.

Autre élément pertinent : Adèle Sorella aurait ensuite eu à descendre les corps des fillettes de deux paliers d’escalier pour les déposer au rez-de-chaussée. Or, sa fille aînée avait le même poids qu’elle, soit 113 livres. Les graves problèmes d’équilibre de l’accusée depuis une opération au cerveau en 2001 rendaient improbable ce scénario, selon la juge.

L’implication de la mafia « n’est pas farfelue »

Selon la Couronne, seule Adèle Sorella peut avoir tué ses filles ce jour-là. Elle avait « l’occasion exclusive », en jargon judiciaire. La mère était en effet seule avec ses filles entre 9 h et 13 h 22, puisqu’elle ne les avait pas envoyés à l’école pour une raison nébuleuse. Vers 13 h 50, Adèle Sorella n’était plus à la maison, lorsqu’elle a laissé un curieux message vocal à ses frères.

Cette thèse a toutefois été rejetée par la juge, puisque l’implication d’un membre de la mafia n’est pas « farfelue ou fantaisiste », soutient la juge.

Il faut savoir que le père des fillettes et mari d’Adèle Sorella était alors Giuseppe De Vito, un influent chef de clan mafieux en cavale depuis trois ans. Il est mort empoisonné au cyanure dans une prison à sécurité maximale en 2013.

La juge retient ainsi une dizaine d’arguments qui soutiennent la thèse de la mafia. Ainsi, Giuseppe De Vito a vu sa famille en cachette à quelques reprises pendant sa cavale. Il avait aussi fait installer un système de surveillance digne d’une banque, lequel a été retiré trois jours avant les meurtres. Une mystérieuse empreinte de semelle dans la maison n’a jamais été expertisée. Finalement, six hommes à l’accent italien se sont présentés au cordon de sécurité après les meurtres et ont refusé de s’identifier.

Un troisième procès a d’ailleurs été ordonné par la Cour d’appel parce que la juge du deuxième procès avait interdit à la défense de plaider la thèse de l’implication du crime organisé.

Adèle Sorella était devenue paranoïaque depuis le départ soudain de son mari. Elle avait tenté de se suicider à trois reprises. Selon les experts, elle souffrait d’une dépression majeure et d’une dissociation pathologique. Une amnésie l’empêchait également de se rappeler cette journée fatidique.

« Sabrina et Amanda sont décédées il y a presque 15 ans. […] Peu importe l’issue du dossier, nous avons les fillettes dans nos pensées et toutes les personnes impliquées depuis 15 ans », a commenté la procureure de la Couronne MMarie-Claude Bourassa, aux côtés de MAlexis Marcotte-Boulanger.

Un appel de la poursuite reste possible, mais un quatrième procès pour meurtre serait pratiquement inédit.

Les avocats de la défense, les frères Pierre et Guy Poupart, n’ont pas fait de commentaires.

L’histoire jusqu’ici

31 mars 2009

Amanda et Sabrina De Vito sont retrouvées mortes dans la salle de jeu de leur résidence de Laval. Elles n’ont aucune marque de blessure.

24 juin 2013

Adèle Sorella est reconnue coupable par un jury de meurtres au premier degré.

5 mars 2019

Au terme d’un deuxième procès ordonné par la Cour d’appel, Adèle Sorella est reconnue coupable de meurtre au 2e degré de ses deux enfants.

13 septembre 2023

Début du troisième procès d’Adèle Sorella. La Cour d’appel avait cassé le verdict de meurtre au 2degré du deuxième procès en 2019.