Un conflit tournant autour d’une compote de pommes aurait mené à l’agression de deux agents correctionnels par un détenu à la prison de Rivière-des-Prairies en janvier 2022. Le procès d’Akim Bilodeau Joseph s’est ouvert mardi dernier et lève le voile sur les tensions pouvant dégénérer entre gardiens et prisonniers.

L’atmosphère est tendue à la prison de Rivière-des-Prairies durant l’hiver 2022. Les détenus sont confinés dans leur cellule, avec la pandémie et le manque criant de personnel. Les prisonniers ne savent pas quand ils pourront sortir dans l’aire commune ou aller prendre une douche.

C’est dans ce contexte qu’Alexandre Whaley et Iannick Tessier auraient été tabassés par trois détenus de la prison de Rivière-des-Prairies. Akim Bilodeau Joseph aurait pris part à l’attaque. L’homme de 24 ans accusé de voies de fait graves envers les deux agents correctionnels est, selon nos informations, lié aux gangs de rue bleus du quartier Saint-Michel. Son allégeance n’a toutefois pas été précisée en salle d’audience.

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L’accusé Akim Bilodeau Joseph est, selon nos sources, affilié à un gang de rue d’allégeance bleue du quartier Saint-Michel, à Montréal.

Toute cette histoire aurait débuté durant le temps des Fêtes. Le détenu Akim Bilodeau Joseph et l’agent correctionnel Alexandre Whaley se sont disputés environ un mois avant l’attaque.

La pénurie de personnel se fait alors sentir. Les sorties de cellule des prisonniers sont incertaines. On y va « au jour le jour », relate M. Whaley. « Il y avait une certaine tension qui émanait de ce régime-là. »

Il raconte avoir fait face à l’impatience des détenus alors qu’il distribuait des « Mcdo », jargon carcéral pour désigner un repas dans un contenant de styromousse accompagné d’un berlingot de lait et d’une compote de pommes.

Chaque fois qu’il dépose le « Mcdo » devant le passe-plat de la cellule, on le questionne à propos des sorties. Il dit qu’il ignore la réponse, que ça dépend des effectifs.

Akim Bilodeau Joseph lui pose la même question.

Excédé de devoir répondre pour la sixième fois, Alexandre Whaley a manqué de tact avec l’accusé, avoue-t-il. « Je n’ai pas eu la même diplomatie qu’avec les autres. Mon ton était peut-être un peu plus sec », admet M. Whaley dans son témoignage.

« Il n’a pas apprécié mon ton de voix », poursuit l’agent correctionnel.

Quand les berlingots de lait se renversent, M. Whaley croit que le jeune criminel voulait les lancer en sa direction.

Selon M. Bilodeau Joseph, l’agent correctionnel aurait alors lancé une compote de pommes dans sa direction. Il s’est retrouvé recouvert de compote. C’est pourquoi il a tenu à témoigner, a-t-il expliqué au tribunal.

« On était très restreints, il y a des jours où on ne prenait pas notre douche. C’est contraignant au niveau de la nourriture. On n’avait pas d’information. Ça dure des mois, des semaines. »

Le détenu s’est senti ciblé par l’agent Whaley et mal compris. « Ce n’est pas acceptable [de lancer la compote]. Je suis dans la cellule, je ne suis pas une menace pour lui. »

Il juge inutile de porter plainte pour l’incident de la compote, car il sait « comment le système fonctionne ». « Je veux juste être respecté. »

L’agent Whaley a admis que la compote s’était renversée sur M. Bilodeau, mais a nié avoir attaqué le détenu. Selon lui, le prisonnier était très en colère et lui aurait dit « je vais me souvenir de toi ».

Violente attaque

Puis tout déboule le 13 janvier 2022. L’agent correctionnel Alexandre Whaley et son collègue Iannick Tessier travaillent au pavillon S2 haut droit, secteur sécuritaire réservé aux gangs de rue et à leurs acolytes.

Chaque jeudi à la prison de Rivière-des-Prairies, c’est la cantine : l’occasion pour les détenus d’acheter de la nourriture ou des cartes d’appel.

Il y a une file d’attente d’environ six personnes pour la cantine quand Akim Bilodeau Joseph décide d’utiliser un des téléphones pour appeler sa petite amie en attendant.

L’agent Whaley lui ordonne de raccrocher à trois reprises : ce temps libre est réservé à la cantine seulement. Bilodeau Joseph lui aurait répondu d’arrêter d’être toujours sur son dos, selon le gardien. Le jeune criminel n’obéit toujours pas à la demande, explique ce dernier. Le ton monte.

L’agent Tessier intervient. Et c’est là que ça se corse.

L’agent Iannick Tessier (chemise bleue) sort seul après l’attaque. Les renforts arrivent. Son collègue l’agent Whaley le rejoint quelques secondes plus tard.

Selon son récit, l’agent Tessier repousse M. Bilodeau Joseph, car il juge que le prévenu est trop près de lui. Le présumé assaillant aurait alors tassé le bras de M. Tessier. « Il y a eu un mouvement pour faire un coup de poing de la part de l’accusé », explique l’agent Whaley.

L’agent Whaley aurait été pris en encolure par un autre détenu. Il ne peut venir en aide à son collègue. « Je me fais étrangler », raconte-t-il.

Il serait, selon ses dires, parvenu à extirper son collègue de la bagarre vers la fin.

« Faut qu’on sorte d’ici, on gagnera pas », aurait dit l’agent Whaley à son collègue.

« M. Bilodeau Joseph s’est reviré vers moi et il m’a donné un coup de poing au visage », décrit Iannick Tessier. Il ne se souvient toutefois pas avoir reçu l’aide de son collègue pour sortir de ce calvaire.

Commotion cérébrale, choc psychologique, blessure à l’arcade sourcilière : Alexandre Whaley et Iannick Tessier se retrouvent en arrêt de travail. L’agent Tessier est muté dans un autre établissement dès son retour.

L’agent Whaley met fin à sa carrière dans les services correctionnels. « C’est impossible pour moi de continuer et de me remettre dans des situations comme ça », dit-il en sanglotant.

Encore des tensions

L’animosité était toujours présente en salle d’audience. Lors du témoignage de M. Whaley, Akim Bilodeau Joseph interrompt ce dernier et remet en doute sa version des faits. « Vous êtes sous serment là, oubliez pas », s’exclame le présumé agresseur du box des accusés mardi dernier alors que la victime détaillait l’attaque.

Bilodeau Joseph nie avoir frappé qui que ce soit. Plus intrigant encore : chacun des témoins a des versions différentes de l’agression.

MNicolas Charron représente le ministère public alors que MVicky Powell défend Akim Bilodeau Joseph. Ses deux coaccusés dans ce dossier, Patwayans Exantus et Maxime Monette, ont plaidé coupable la veille du procès. Ils ont chacun écopé d’une peine de deux ans.

Le dossier se poursuit ce jeudi avec les plaidoiries.