Sylvie Dagenais s’est crue « inatteignable » pendant près de 15 ans. Ni vu ni connu, la secrétaire d’un chercheur émérite a détourné 1,7 million de dollars d’un fonds de recherche pour le cancer du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Même son mari et ses deux fils profitaient de la manne. Ils risquent maintenant la prison.

« Sylvie Dagenais a abusé de la confiance de son supérieur, et de concert avec Danny Édisbury, a planifié et mis en œuvre un système élaboré et sophistiqué de fraude envers son employeur. […] Ils comprennent rapidement qu’il n’y a aucun système de contrôle capable de les déceler », a conclu la juge Mylène Grégoire dans une décision de 84 pages rendue lundi.

Accusés en 2019, Sylvie Dagenais et Danny Edisbury ont été reconnus coupables de fraude, de faux et d’utilisation de documents contrefaits sur une période de 2000 à 2014. Leurs fils Carl Edisbury, 36 ans, et Francis Edisbury, 34 ans, ont aussi été déclarés coupables de fraude.

La « tromperie » des Dagenais-Édisbury a été révélée au grand jour lors du déménagement du CHUM dans les années 2010.

Une confiance « aveugle »

Secrétaire médicale au CHUM depuis 1980, Sylvie Dagenais jouissait de la confiance « absolue » du DFred Saad, chef du Service d’urologie du CHUM et éminent chercheur en cancer de la prostate. Au début des années 2000, elle devient donc coordonnatrice d’un fonds de recherche.

C’est là que Sylvie Dagenais flaire la bonne affaire. Elle réalise que les directions du CHUM et du CRCHUM (centre de recherche du CHUM) sont distinctes et opèrent en silo. Le contrôle interne est carrément « inexistant ». En plus de son salaire du CHUM, Sylvie Dagenais s’attribue alors un deuxième salaire au CRCHUM en imitant la signature du DSaad.

La secrétaire de 60 ans en vient même à exercer un contrôle total sur les activités de l’équipe du DSaad au CRCHUM : elle fait les embauches, approuve les horaires, contrôle l’approbation des salaires, des fournisseurs et la facturation des comptes clients. En outre, le DSaad lui donne « carte blanche ».

L’éminent chercheur a tellement confiance en Sylvie Dagenais qu’il la dépeint comme son « bras droit, son bras gauche, sa jambe droite, sa jambe gauche », aux dires de la fraudeuse. Une confiance « aveugle ». La juge souligne que le DSaad – qui n’est pas accusé – a « mal géré » son fonds de recherche et a peut-être été négligent en faisant ainsi confiance à une seule personne.

Un système de facturation « malhonnête »

Au procès, Sylvie Dagenais a tenté de faire croire que ses deux rémunérations étaient légitimes, que la situation était connue des dirigeants et qu’elle avait réalisé toutes les heures déclarées. Un récit « invraisemblable », tranche la juge Grégoire, qui évoque son témoignage « évolutif, décousu et contradictoire ».

En plus de son double salaire, Sylvie Dagenais et son mari ont érigé un système de facturation « malhonnête minutieusement élaboré ». L’entreprise de Danny Édisbury a ainsi encaissé plus de 460 000 $ entre 2006 et 2014 pour diverses tâches possiblement fictives. Des paiements qui étaient généralement approuvés par Sylvie Dagenais. À son nom personnel, Danny Édisbury a touché 152 000 $ du CRCHUM.

C’est en usant de faux renseignements ou encore par la dissimulation de faits importants que le couple a encaissé ces sommes importantes, selon la juge.

« Il s’agit d’une pure manigance du couple, orchestrée en vue de s’enrichir aux dépenses de l’employeur, à laquelle le DSaad a naïvement cru », résume la juge, qui a souligné « la nonchalance et l’arrogance » de Danny Édisbury au procès.

Se croyant « invincible », le couple de fraudeurs a même intégré ses fils Carl et Francis dans leurs stratagèmes frauduleux.

À 22 ans et sans expérience, Carl est embauché comme assistant de recherche au CRCHUM. Pendant cinq ans, il va toucher 15 heures supplémentaires par semaine, sans que ce soit justifié, et ce, de connivence avec sa mère.

Leur fils benjamin Francis Édisbury va recevoir 142 000 $ du CRCHUM entre 2007 et 2013… sans même y mettre les pieds. Pendant cinq ans, Sylvie Dagenais va autoriser le versement de montants forfaitaires à son fils, alors que celui-ci n’a pas de contrat de travail. Dans la même période, Francis a transféré 71 000 $ à ses parents.

En 2013, Francis Édisbury est embauché officiellement comme assistant de recherche par le CRCHUM. Au procès, l’accusé n’était même pas capable de se rappeler son titre d’emploi. Un constat « frappant », selon la juge. Comme son frère, il « travaille » systématiquement 50 heures par semaine sans faire toutes ces heures.

MNicolas Ammerlaan et MSarah-Audrey Daigneault représentent le ministère public. MIsabelle Lamarche défend le couple, alors que MMaxime St-Germain représente les fils Francis et Carl.

L’histoire jusqu’ici

2 mai 2019

Sylvie Dagenais, une ex-employée du CHUM, son mari et leurs deux fils sont accusés de fraude.

3 mai 2021

Le procès pour fraude de Sylvie Dagenais et du clan Édisbury s’ouvre au palais de justice de Montréal.

23 octobre 2023

La juge déclare coupables les quatre accusés pour tous les chefs d’accusation.