Une femme lourdement handicapée ne reçoit plus de soins adéquats de son mari et meurt à l’hôpital en septembre 2020. Quel rôle la pandémie a-t-elle joué dans sa mort ? Deux visions aux antipodes s’opposent dans cette affaire inédite. Si la Couronne réclame 10 ans de pénitencier contre Bruno Turcotte, la défense demande 18 mois de prison à domicile.

« C’est un homme de 61 ans qui a toujours pris soin de sa femme et qui a été négligent pendant quelques semaines pendant la période pandémique. Il y a une absence totale de vindicte de cet homme. La pandémie, c’est dans notre dossier. Ça devrait être un facteur mitigeant », a plaidé MMarc Labelle vendredi au palais de justice de Laval.

Au contraire, selon la Couronne, la pandémie de COVID-19 n’a joué aucun rôle dans ce dossier. « L’État ne voit aucun facteur atténuant ? », s’est interrogé le juge Daniel W. Payette. « Il n’est pas question qu’on a coupé les services à monsieur en raison de la COVID », a fait valoir la procureure de la Couronne MKarine Dalphond.

Bruno Turcotte, retraité de Terrebonne, a été reconnu coupable par un jury au début du mois de l’homicide involontaire de sa femme Johanne Bilodeau en septembre 2020. Le proche aidant s’occupait depuis dix ans de sa femme, devenue quasi paralysée à la suite d’un AVC. Elle était totalement dépendante de lui.

Johanne Bilodeau était dans un état « lamentable » à son arrivée à l’hôpital en septembre 2020. Selon la Couronne, elle était déshydratée et dénutrie et présentait des plaies béantes dévoilant ses os. Elle est morte quelques heures plus tard d’un choc septique.

« Mme Bilodeau a payé le prix de l’absence de suivi médical pendant trois ans », a plaidé MDalphond.

L’état de santé de Johanne Bilodeau avant sa mort fait toutefois l’objet d’un débat. En effet, selon le pathologiste judiciaire, la victime n’était pas rachitique à sa mort. Le juge a d’ailleurs rappelé à la Couronne que la victime pesait 125 lb et avait un indice de masse corporelle de 23 – donc normal.

« Elle n’a pas engraissé après sa mort ! », a lancé le juge, en reprochant à un témoin médecin d’avoir fait une « analogie indue » avec les gens souffrant de non-alimentation.

Selon le ministère public, les facteurs aggravants sont très nombreux : mauvais traitement à l’égard d’une personne vulnérable, abus de confiance, refus d’obtenir plus de services de l’État, absence de suivi médical pendant trois ans, etc. La Couronne ne relève même aucun facteur atténuant.

« Le message doit être clair pour les personnes vulnérables : si on agit comme M. Turcotte avec Mme Bilodeau, les sentences sont importantes. Elles doivent être dissuasives et dénonciatrices », a plaidé MDalphond, qui associe le crime à un « quasi-meurtre ».

La défense brosse un portrait bien différent. Bruno Turcotte a démontré de la compassion envers sa femme pendant des années. Toutefois, dans les dernières semaines, il était « confus » par rapport à ses responsabilités. Néanmoins, il a commandé des crèmes à la pharmacie pour soigner sa femme et a demandé à sa fille de venir voir une plaie de sa femme.

« Ce n’est pas quelqu’un de méchant envers sa conjointe. C’est un homicide involontaire », a plaidé MMarc Labelle, en insistant sur le mot « involontaire ».

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MMarc Labelle, avocat de Bruno Turcotte

« C’est un cas unique. Il n’y a aucune preuve de mauvaise foi. Aucun acte de cruauté. Aucune preuve d’un état d’esprit blâmable », a poursuivi MLabelle, en citant plusieurs facteurs atténuants.

La défense réclame 18 mois de prison à domicile, une peine particulièrement clémente pour un tel crime. « Ce n’est pas nécessaire ni pour la société ni pour lui de l’envoyer en prison », a conclu MLabelle.

Le juge Daniel W. Payette rendra sa décision en décembre prochain.

« Dans ce dossier, l’humanité se révèle dans toute sa fragilité. On va essayer de mettre un point final à cet épisode dramatique dans la famille Bilodeau-Turcotte », a-t-il conclu.

Citations

Je t’aime, maman, je pense très fort à toi de là-haut. Tu me manques terriblement, je voudrais te serrer très fort dans mes bras et te dire que je t’aime. Tu étais formidable.

Jade Bureau, fille de la victime Johanne Bilodeau

Un homme doit payer pour toi, ma sœur. Ma douce sœur. Rien ne remplacera le poids de ton absence. […] Un tourbillon de douleur, d’angoisse, de ravage. Ces pensées sont un fardeau que je porte, un poids sur mon cœur.

Sœur de Johanne Bilodeau