(Ottawa) La Cour suprême du Canada s’est prononcée, vendredi, contre la législation fédérale sur les effets environnementaux des développements majeurs, cinq juges sur sept la jugeant en grande partie inconstitutionnelle parce que son langage pourrait être utilisé pour réglementer les activités relevant de la compétence provinciale.

Le juge en chef Richard Wagner, écrivant au nom de la majorité, a déclaré que la loi, tel qu’elle est rédigée, pourrait réglementer les activités qui relèvent de la compétence provinciale, au lieu de limiter Ottawa aux effets environnementaux qu’elle a le pouvoir de superviser.

« Même si j’acceptais la prétention du Canada en ce qui concerne les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale défini, ces effets ne dictent pas les fonctions décisionnelles prévues par le régime », a-t-il écrit dans son jugement de 204 pages, publié vendredi.

Le juge Wagner a poursuivi en disant que les impacts pris en compte dans la législation, précédemment connue sous le nom de projet de loi C-69, qui incluait une gamme de facteurs environnementaux et sociaux ainsi que les changements climatiques, étaient « trop vastes ».

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Le juge en chef du la Cour suprême du Canada, Richard Wagner

« Il est difficile d’imaginer un grand projet proposé au Canada qui ne supposerait aucune activité qui “ peut ” entraîner au moins l’un des effets énumérés », a-t-il écrit.

« Le régime invite donc le gouvernement fédéral à prendre des décisions relativement à des projets qu’il n’est pas habilité à réglementer, au moins du point de vue des chefs de compétence qu’il invoque. »

Néanmoins, le juge Wagner a écrit qu’Ottawa a un rôle important et légitime à jouer dans les questions environnementales, et que les provinces doivent respecter ses règles.

« Le fait qu’un projet implique des activités qui sont principalement réglementées par les législatures provinciales ne crée pas une enclave d’exclusivité pour autant. Même un projet » provincial » de cette nature peut entraîner des effets à l’égard desquels le gouvernement fédéral peut légiférer à juste titre. »

Deux juges étaient dissidents, affirmant que la loi était constitutionnelle.

Les provinces se réjouissent

La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, dont la province a contesté la loi, a qualifié le jugement de « victoire massive » pour les droits provinciaux. Elle a déclaré que cela donne « une compétence provinciale exclusive » sur des questions telles que la construction de nouvelles centrales électriques au gaz naturel émettant des gaz à effet de serre.

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La première ministre albertaine Danielle Smith

« C’est notre droit exclusif de pouvoir prendre des décisions quant à l’autorisation et à l’approbation de ce type de projets, a-t-elle affirmé. Là où ils se sont tellement trompés, c’est qu’ils ont présumé s’immiscer dans notre compétence pour prendre des décisions qui relèvent entièrement, à 100 %, des frontières de l’Alberta. Ils devraient cesser d’essayer de microgérer nos affaires. »

En Ontario, le premier ministre Doug Ford a suggéré que l’avis retirerait Ottawa de l’évaluation de projets.

« Nous saluons la décision d’aujourd’hui qui confirme ce que nous disons depuis le début, a-t-il déclaré dans un communiqué. Le processus fédéral d’évaluation d’impact fait inutilement double emploi avec les exigences rigoureuses et de pointe en matière d’évaluation environnementale de l’Ontario. »

Son homologue de la Saskatchewan, Scott Moe, a affirmé sur les réseaux sociaux que cette décision devrait être un coup de semonce pour le gouvernement fédéral.

« Cela devrait amener le gouvernement fédéral à repenser les nombreux autres domaines dans lesquels il outrepasse ses compétences constitutionnelles, comme la production d’électricité et la production de pétrole et de gaz. »

Cependant, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a indiqué que l’avis du tribunal n’annule pas la loi et ne changera pas la façon dont les évaluations fédérales ont été menées. Il a soutenu que le gouvernement avait fait preuve de prudence dans l’application de la loi.

« En appliquant cette loi, nous avons essayé de garantir que nous restions dans les limites des compétences fédérales. Nous continuerons certainement à le faire, a-t-il affirmé. Ce que la Cour suprême semble suggérer, c’est que la loi est trop large à certains égards et que nous devons la resserrer. Nous nous efforcerons d’y parvenir dans les mois à venir. »

M. Guilbeault a déclaré qu’il était trop tôt pour suggérer ce qui doit changer.

« La Cour suprême a indiqué que la notion d’intérêt public gagnerait à être mieux définie. »

Le ministre fédéral des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a suggéré que ces changements pouvaient être apportés rapidement.

« Les préoccupations soulevées par la Cour suprême peuvent être traitées de manière relativement chirurgicale, a-t-il dit. Nous avons tous intérêt à trouver des moyens de faire avancer ce dossier rapidement. »

Ottawa peut toujours réglementer les GES

Stewart Elgie, professeur de droit et directeur de l’Institut de l’environnement de l’Université d’Ottawa, a déclaré que l’avis du tribunal ne prive pas Ottawa de sa capacité à réglementer les gaz à effet de serre ou une grande variété d’autres effets environnementaux, allant de la santé à l’habitat — ils doivent simplement être liés plus étroitement aux compétences fédérales.

« Le gouvernement fédéral dispose toujours d’un pouvoir très étendu pour réglementer les projets par le biais d’évaluations environnementales, a-t-il expliqué. Il n’a tout simplement pas une autorité illimitée. »

« (Le gouvernement) doit resserrer la loi pour refléter la manière dont le gouvernement fédéral effectue réellement l’évaluation environnementale. »

Adoptée en 2019, la loi énumère les activités qui déclenchent une étude d’impact fédérale.

L’Alberta s’y est opposée, arguant que la loi donne à Ottawa le pouvoir de se mêler de questions provinciales, telles que le développement des ressources. En 2022, elle a demandé un avis juridique à la Cour d’appel de l’Alberta.

La Cour d’appel, dans une décision ferme à quatre contre un, a qualifié la loi de « menace existentielle » pour le partage des pouvoirs dans la Constitution et de « boule de démolition » pour les droits de l’Alberta et de la Saskatchewan.

La Loi sur l’évaluation d’impact est maintenant la deuxième mesure législative de ce type à être rejetée par les tribunaux.

En 2016, la Cour d’appel fédérale avait invalidé la loi sur l’évaluation adoptée par le gouvernement conservateur de Stephen Harper.