Les cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur l’internet signalés aux autorités canadiennes ont augmenté de manière fulgurante dans les derniers mois, pulvérisant ainsi le record établi durant la pandémie de COVID-19, quand les jeunes étaient confinés à la maison devant leurs écrans, révèlent des chiffres obtenus par La Presse.

« On avait espéré que ça se calme, mais ce n’est pas arrivé », constate René Morin, porte-parole du Centre canadien de protection de l’enfance.

Pendant le confinement de 2020, alors que les jeunes étaient rivés à leurs écrans et leurs parents, souvent occupés à travailler, les signalements de sextorsion, de leurre informatique, de partage non consensuel d’images intimes, de diffusion de photos et de vidéos pédopornographiques et d’autres crimes du genre avaient explosé, atteignant des sommets inégalés au pays. Le terreau était devenu si fertile pour les prédateurs qu’ils s’en félicitaient ouvertement en ligne et s’échangeaient des trucs sur le web caché pour mieux en profiter.

À l’époque, des experts s’inquiétaient que ce phénomène devienne la nouvelle réalité. Le temps leur aura donné raison.

Les plus récents chiffres provenant des deux principaux organismes de lutte contre la pédopornographie au pays sont sans équivoque :

  • Entre avril 2022 et mars 2023, le Centre national contre l’exploitation des enfants de la GRC a reçu près de 103 000 plaintes et signalements d’infractions d’exploitation sexuelle d’enfants sur le web, contre 52 000 pour 2020-2021. C’est deux fois plus.
  • Depuis mars, le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE), qui accueille sur sa plateforme Cyberaide.ca les signalements de la population canadienne, a envoyé 3,7 millions de demandes à des entreprises web pour qu’elles suppriment des images à caractère pédopornographique qui étaient diffusées sur leurs plateformes. C’est une augmentation de 31 % par rapport aux six mois précédents.
  • Pour la même période, le centre fait état d’une hausse de 47 % des cas de sextorsion et de 27 % des cas de leurre informatique par rapport aux six mois précédents. « Ces temps-ci, on reçoit en moyenne dix signalements de sextorsion par jour », s’alarme René Morin.
  • Toujours dans les six derniers mois, l’organisme a aidé 226 victimes dans leurs démarches pour obtenir la suppression de leurs images intimes, soit 44 % de plus que pour les six mois d’avant.

Les victimes sont de plus en plus jeunes.

« Avec les tablettes, les cellulaires, les jeunes embarquent sur les médias sociaux de plus en plus tôt », note le caporal Philippe Gravel, enquêteur au Centre national contre l’exploitation des enfants de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). « Ils n’ont souvent pas de supervision. Donc ils sont facilement approchables par les contrevenants. » Dans les cas de sextorsion, ses collègues et lui voient des victimes dès 12 ou 13 ans. Pour l’échange d’images intimes, certaines victimes sont aussi jeunes que 6 ou 7 ans, déplore Philippe Gravel.

René Morin constate la même tendance. Les études menées par son organisme montrent que les prédateurs ont un appétit grandissant pour des victimes plus jeunes, « même des bébés ».

Plus de temps devant l’écran

Comment expliquer une telle hausse des cas, alors qu’enfants et adolescents sont depuis longtemps de retour sur les bancs d’école ?

La réponse a plusieurs volets.

D’abord, les habitudes de consommation d’écrans développées pendant le confinement ne sont jamais revenues à la normale.

Les jeunes passent beaucoup, beaucoup plus de temps qu’avant. Ils sont plus actifs sur les médias sociaux et les autres plateformes. C’est une porte ouverte pour les prédateurs vers ces enfants-là.

Le caporal Philippe Gravel, enquêteur au Centre national contre l’exploitation des enfants de la GRC

La popularité grandissante des jeux en ligne offre aussi un nouveau terrain de chasse pour les gens malveillants. « Les contrevenants vont jouer à ces jeux-là pour approcher les jeunes, puis gagner leur confiance. Et éventuellement les conversations vont migrer vers d’autres médias. C’est à partir de là que le grooming va se faire pour avoir les images et vidéos », dit le policier.

Ajoutons à cela le fait que les prédateurs sont meilleurs que jamais avec la technologie. « Les chiffres étaient presque condamnés à augmenter, dit René Morin. Les abuseurs qui sont dans la vingtaine ou dans la jeune trentaine s’y connaissent mieux en technologie que leurs prédécesseurs. Ils n’ont pas eu la même courbe d’apprentissage. Ils maîtrisent déjà [les outils] quand ils tombent dans cet univers. »

Finalement, et c’est ici qu’il y a une bonne nouvelle, la sensibilisation faite par la police et les organismes de lutte auprès des géants du web commence à porter ses fruits. Les entreprises sont plus promptes à dénoncer. Et grâce aux avancées technologiques, elles ont plus de facilité à repérer les images qui circulent sur leurs plateformes.

« Les façons de signaler se sont améliorées, la façon de détecter aussi. Et naturellement, l’accessibilité des jeunes sur l’internet. Tout ça fait que [les cas] augmentent », résume le caporal Philippe Gravel.

La solution ? La prévention, répond le policier. « C’est tout le temps les mêmes conseils qu’on donne. Quand les jeunes sont sur les médias sociaux ou sur l’ordinateur, il faut qu’ils soient dans un endroit supervisé. Les ordinateurs dans les chambres à 6-7 ans, c’est là qu’ils se font approcher. On espère qu’un jour, à force de répéter, [le message] va passer. Il n’y a pas de solution miracle, c’est vraiment la prévention. »

Pour René Morin, la clé est de légiférer. « Les chiffres continuent de montrer à quel point les gouvernements doivent s’investir et le Canada est à la traîne. »

Il donne l’exemple d’une loi en voie d’être adoptée au Royaume-Uni qui force les entreprises web, sous peine d’amendes très salées, à mettre en place des mécanismes pour détecter et éliminer le matériel à caractère pédopornographique qui circule sur leurs plateformes. Les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie cryptées seront soumis à cette loi. « On aimerait que le Canada emboîte le pas. De quelles autres données a-t-on besoin pour constater qu’on a un problème, et un vrai ? »

Pour plus d’information ou pour demander de l’aide

Centre canadien de protection de l’enfance : cyberaide.ca

Fondation Marie-Vincent : marie-vincent.org

La Ligne Parents : 1 800 361-5085

Info-Social : 811

Le réseau des CAVAC : cavac.qc.ca ou 1 866 532-2822 (sans frais) 

Ligne-ressource provinciale pour les victimes d’agression sexuelle : 1 888 933-9007

En savoir plus
  • 36 %
    Hausse des signalements à la GRC entre mars et mai 2020 pendant le confinement de la COVID-19. Les chiffres ont continué à monter.
    815 %
    Dans les cinq dernières années, Cyberaide.ca, la centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation et d’abus sexuels d’enfants sur l’internet, a vu le nombre de signalements de leurre augmenter de 815 %.