Six mois après avoir purgé une longue peine de prison pour des crimes sexuels, l’ex-entraîneur de ski Bertrand Charest se retrouve mêlé à une fraude alléguée de 3 millions de dollars. Ses anciens partenaires d’affaires, soupçonnés d’avoir manigancé cette fraude massive, rejettent le blâme sur Charest et lui réclament 11 millions de dollars.

Ce qu’il faut savoir

L’ex-entraîneur de ski Bertrand Charest, condamné à 10 ans de prison pour des crimes sexuels, est visé par une poursuite de 11 millions par d’ex-partenaires d’affaires.

La Banque nationale réclame plus de 3 millions à Sarah Cordato et Denis Vallée pour une fraude alléguée.

Bertrand Charest dit avoir été trahi par son ami Denis Vallée.

« Un stratagème frauduleux minutieusement préparé et orchestré. »

C’est ainsi que la Banque nationale du Canada (BNC) décrit dans une poursuite déposée à la fin de juin la fraude qu’auraient habilement perpétrée l’ex-courtière immobilière Sarah Cordato et son conjoint Denis Vallée en quatre jours seulement, en mai dernier.

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Sarah Cordato, ex-courtière immobilière

Le dossier de cour a été descellé seulement cette semaine grâce à l’intervention de La Presse. Il nous était donc impossible d’en parler plus tôt.

La BNC réclame 3 millions de dollars au couple Cordato-Vallée, à des sociétés sous leur contrôle et à Think Glass Le verre repensé inc., une entreprise de fabrication de verre fondée par Bertrand Charest. Ce dernier n’est pas personnellement visé comme défendeur dans la poursuite.

« J’étais complètement abasourdi [en apprenant la fraude]. Ça m’a pris des semaines pour comprendre comment ça s’était passé », lâche Bertrand Charest, en entrevue avec La Presse.

L’homme d’affaires nie fermement avoir reçu un sou dans cette affaire. Au contraire, son entreprise a perdu plus de 1 million de dollars en raison de la « grande trahison » de son ex-associé Denis Vallée, dit-il. « C’est M. Vallée qui est derrière tout ça », lance Charest en entrevue.

Bertrand Charest a été condamné à 10 ans de pénitencier dans les années 2010 pour avoir agressé ou exploité sexuellement neuf jeunes athlètes, alors qu’il était un entraîneur de ski d’élite dans les années 1990. Le juge l’avait dépeint comme un « prédateur sexuel tissant sa toile soigneusement » pour piéger ses victimes. Il a obtenu sa libération conditionnelle totale en avril 2020. Sa peine s’est conclue en février dernier.

« C’est complètement loufoque », dit Charest

Sarah Cordato et Denis Vallée se posent en victimes de Bertrand Charest dans cette affaire : ils lui réclament 11,1 millions de dollars, ainsi qu’aux sociétés Think Glass Le verre repensé et Gesthink, dans une poursuite déposée cette semaine au palais de justice de Montréal.

Denis Vallée reproche à Bertrand Charest de lui avoir vendu la société Gesthink pour 11 millions, mais d’avoir changé d’idée « unilatéralement » en mai 2023 après avoir reçu les fonds. Bertrand Charest aurait ensuite convenu de rembourser la somme, mais aurait « volontairement » omis de rendre les sommes disponibles, allègue-t-on.

C’est ce qui aurait mené les Cordato-Vallée à être « visés à tort » par la BNC et à poursuivre ensuite Bertrand Charest. Ils affirment dans leur requête que Charest a « valablement autorisé » toutes les transactions frauduleuses alléguées, et a même « expressément demandé » certaines d’entre elles. En bref, si Charest avait honoré son entente, Denis Vallée et Sarah Cordato n’auraient jamais été visés par ces allégations de fraude, avancent-ils.

Par l’entremise de leur avocate, Mme Cordato et M. Vallée n’ont pas souhaité commenter davantage.

« C’est complètement loufoque », martèle Bertrand Charest. Il assure n’avoir « jamais » eu d’entente avec Denis Vallée pour lui vendre son entreprise. « Aucun dollar. Je n’ai vu la couleur d’aucun dollar, ni ici, ni ailleurs », insiste-t-il.

Tu n’achètes pas une compagnie à 11 millions pour frauder 4 millions et la mettre en faillite trois mois plus tard.

Bertrand Charest

Bertrand Charest nie avoir fait preuve de « négligence » – comme le soutient la BNC – et préfère évoquer sa « grande naïveté ». Il raconte avoir rencontré Denis Vallée en prison et lui avoir donné une « deuxième chance » pour en faire son partenaire d’affaires, avec l’espoir de lui vendre l’entreprise en 2025.

Questionné sur ses crimes sexuels qui ont brisé la vie de nombreuses femmes, Bertrand Charest a répété « regretter amèrement » ses gestes.

La BNC persiste et signe

Selon la BNC, Sarah Cordato et Denis Vallée sont les architectes de cette fraude. Ils se seraient approprié en mai 2023 au moins 3,08 millions de dollars de la Banque en utilisant illégalement le compte bancaire de Think Glass. Ainsi, ils auraient encaissé des chèques sans fonds « frauduleux » émis par des sociétés sous leur contrôle, allègue la BNC dans sa requête.

Sarah Cordato aurait vraisemblablement dilapidé les fonds en les virant à des individus et à des sociétés, allègue la BNC, dont une bijouterie du Wyoming et Bijouterie Medusa, établie à Québec. L’ex-courtière aurait aussi acheté des véhicules au nom de Cordato Immobilier, allègue-t-on. Les montants sont caviardés dans la requête. « Nous n’avons jamais participé, ni de près ni de loin, au stratagème frauduleux allégué », se défend Julien Duguay, dirigeant de Bijouterie Medusa, dans une déclaration fournie à La Presse.

Les nombreux virements ont été faits de façon concomitante au dépôt des chèques sans fonds, faisant croire que les défendeurs ont agi « de concert pour procéder à une dilapidation rapide des sommes frauduleusement obtenues par Think Glass et Cordato Immobilier », allègue la BNC.

Il est manifeste que [Denis] Vallée a pris part activement au Stratagème frauduleux, alors qu’il est le conjoint de Cordato, qu’il était impliqué au sein de Think Glass, que Charest affirme reconnaître son écriture sur les Chèques.

Extrait de la requête de la BNC

La BNC reproche à Bertrand Charest d’avoir fait « preuve de négligence » en octroyant à Sarah Cordato les codes bancaires de son entreprise, sans prévenir l’institution bancaire. C’est en utilisant ces accès que Sarah Cordato a pu « dilapider des sommes importantes du Compte BNC, sans aucune supervision », allègue la banque, qui estime ainsi Think Glass responsable des pertes.

La banque maintient que Think Glass n’a rien fait lorsque Cordato Immobilier – une entreprise détenue par Sarah Cordato – et un notaire ont été ajoutés comme bénéficiaires du compte bancaire.

Bertrand Charest avait pourtant été informé de ces ajouts, assure la Banque. Ainsi, M. Charest aurait pu identifier les transactions « non autorisées » puisqu’il s’est connecté à plusieurs reprises sur le compte bancaire de l’entreprise pendant cette période, selon la Banque.

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La résidence de Québec achetée par la société immobilière de Sarah Cordato

Pendant le stratagème allégué, Sarah Cordato, par l’entremise de son « alter ego » immobilier, a acheté en mai 2023 une luxueuse résidence de 1,4 million de dollars sur le chemin de Bélair, à Québec. La Banque nationale cherche maintenant à saisir de façon durable cette résidence, ainsi que plusieurs montres Rolex et bijoux en or détenus par les Cordato-Vallée.

Sarah Cordato n’a plus de permis de courtage valide depuis le 1er mai 2023, a confirmé cet été à La Presse l’OACIQ, l’autorité en matière de courtage immobilier. Son permis a été révoqué, comme elle n’a pas payé ses droits de pratique, nous a-t-on expliqué.