Le néonazi Gabriel Sohier-Chaput, qualifié d’« influenceur de la haine » par le juge, a été condamné vendredi à une peine « substantielle » de 15 mois de prison pour avoir fomenté la haine contre les Juifs. Dans un geste rarissime, le juge s’est écarté de la peine « outrageuse », « bonbon » et « clémente » suggérée par les parties.

Ce qu’il faut savoir

Gabriel Sohier-Chaput a été condamné à 15 mois de prison pour avoir fomenté la haine contre les Juifs.

Le Montréalais était une figure de proue du mouvement d’extrême droite aux États-Unis.

Le juge a refusé de suivre la suggestion de peine des parties, un geste rarissime.

« Le Tribunal doit lancer un message clair que les discours de haine n’ont pas leur place dans le monde. Ce message doit être entendu haut et fort. Le Tribunal doit transmettre la répulsion sociale du crime qui va à l’encontre des valeurs fondamentales du peuple québécois et canadien », conclut le juge Manlio Del Negro.

Trois mois de prison. C’est cette peine très clémente qu’avaient proposée au juge le procureur de la Couronne MPatrick Lafrenière et l’avocat de la défense MAntonio Cabral, l’été dernier. Précisons d’emblée qu’un juge est pratiquement obligé d’entériner une suggestion commune. La barre est extrêmement haut placée pour s’en écarter.

Or, ici, le public serait « incrédule, choqué et abasourdi » s’il imposait une telle peine. Le public serait carrément « révolté » et deviendrait même « méfiant » du système judiciaire, renchérit le juge Del Negro. En outre, les « bras » de la population « en tomberaient », illustre le juge de la Cour du Québec.

Il est évident que de se cacher derrière l’anonymat de son clavier pour répandre ces messages haineux au grand public est un geste hautement répréhensible qui mérite d’être dénoncé et puni sévèrement.

Le juge Manlio Del Negro

Les crimes commis par le néonazi Gabriel Sohier-Chaput sont si graves et les conséquences sont si importantes pour la communauté juive qu’une peine plus sévère s’impose pour maintenir la confiance du public envers le système de justice, conclut le juge, en rappelant les ravages de l’antisémitisme.

Passage « à l’action »

De son appartement de Rosemont, Gabriel Sohier-Chaput était une figure de proue du mouvement d’extrême droite aux États-Unis dans les années 2010. Sous le pseudonyme de Zeiger, le Québécois a écrit jusqu’à 1000 articles sur le très influent site néonazi The Daily Stormer, qui était visité par 3 millions de personnes chaque mois.

Dans l’unique publication au cœur du procès, Gabriel Sohier-Chaput a exhorté ses innombrables lecteurs à « passer à l’action » contre les Juifs. Il visait ainsi à faire la promotion du nazisme et à promouvoir la persécution, la détestation et l’extermination des Juifs, selon le juge.

« Son message est provocant et incitateur. Son but était de désensibiliser les lecteurs à l’usage de la violence », insiste le juge.

« Il n’est pas un amateur dans le domaine de la haine. Il était un contributeur actif et prolifique du Daily Stormer. On ne peut pas lire son écrit sans avoir la chair de poule. […] Les mots utilisés suscitent des émotions fortes et extrêmes », affirme le juge.

Toujours un « danger »

Le constat du juge est implacable : six ans plus tard, Gabriel Sohier-Chaput n’a pas changé d’un iota. Il n’a aucun remords sincère et n’a démontré aucun effort de réhabilitation. En bref, il est toujours un « danger » pour la population.

Il adhère mordicus à son idéologie haineuse. Il n’a fait aucun effort au cours des années pour changer son idéologie. Il a agi comme étant un influenceur de la haine. Le risque de récidive ne peut être écarté.

Le juge Manlio Del Negro

Le magistrat rappelle une évidence : la transmission de la propagande nazie est infiniment plus facile que lors de la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, une personne peut propager la haine partout dans le monde avec un simple clic de souris. Les réseaux sociaux sont devenus un moyen « facile et économique » de répandre les idéologies haineuses, poursuit le juge.

En plus d’être condamné à 15 mois de détention, Gabriel Sohier-Chaput sera soumis à une probation de trois ans pendant laquelle il lui sera interdit de publier un texte ou un commentaire sur l’internet pouvant être lu par le grand public. Il lui sera aussi interdit de participer à toute manifestation de groupe prônant la haine.

En mêlée de presse, son avocat MAntonio Cabral a déjà annoncé son intention de porter le jugement en appel et de demander la libération de son client pendant les procédures d’appel.

Ils ont dit

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Eta Yudin, vice-présidente au Centre consultatif des relations juives et israéliennes

C’est un jugement très important. Un message haut et fort que notre système judiciaire fonctionne, que les mots comptent, que la montée de la haine en ligne a des conséquences et que si quelqu’un prend la décision d’essayer de fomenter la haine ou l’antisémitisme, les conséquences sont réelles. Le juge a fait preuve de courage.

Eta Yudin, vice-présidente au Centre consultatif des relations juives et israéliennes

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Henry Topas, directeur régional de B’nai Brith Canada

Le juge a agi avec sagesse. Cette décision sera utilisée ailleurs au pays. Le juge a considéré grandement la nature sérieuse des crimes. On est satisfaits de cette décision. Je pense que ça va servir pour dissuader d’autres de faire la même chose.

Henry Topas, directeur régional du B’nai Brith Canada

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MAntonio Cabral, avocat de la défense, en juin 2018

Je suis déçu que [le juge] n’ait pas suivi la suggestion commune. Je crois encore, dans mon for intérieur, que la suggestion était appropriée, que les facteurs atténuants très importants devaient être pris en considération. Personnellement, je suis surpris.

MAntonio Cabral, avocat de la défense

Le poursuivant prend acte de la décision sur la peine rendue par le juge Del Negro dans le dossier de M. Sohier-Chaput. Nous procéderons dans les prochains jours à l’analyse des motifs au soutien de cette décision.

MPatrick Lafrenière, procureur de la Couronne