(Ottawa) Le Service correctionnel du Canada réexaminera sa décision de transférer le tueur Paul Bernardo dans un établissement à sécurité moyenne, mais les motifs qui ont mené à ce transfert controversé sont restés secrets lundi.

Des leaders politiques de tous les horizons ont exprimé leur choc et leur indignation face à la décision du Service correctionnel du Canada de transférer le meurtrier et violeur en série.

Bernardo est incarcéré depuis 1993 et purge une peine d’emprisonnement de durée indéterminée et à perpétuité pour l’enlèvement, la torture et les meurtres de Kristen French, 15 ans, et de Leslie Mahaffy, 14 ans, qui ont eu lieu au début des années 1990.

Il était jusqu’ici emprisonné à l’établissement à sécurité maximale de Millhaven, près de Kingston, en Ontario, mais il vient d’être transféré à l’établissement à sécurité moyenne de La Macaza, dans les Laurentides.

Dans un communiqué, le Service correctionnel annonce lundi que la commissaire Anne Kelly a ordonné la tenue d’« un nouvel examen du cas de ce délinquant ».

« L’examen a pour objet de s’assurer qu’il a été placé au bon niveau de sécurité en fonction des données probantes disponibles, et surtout, que les préoccupations des victimes ont été adéquatement prises en compte. »

Le service admet que les crimes de Bernardo étaient « horribles », et déplore « la douleur et les préoccupations que la situation a pu causer », mais rappelle que « la loi délimite l’information » qu’il peut divulguer au sujet du cas d’un délinquant.

Cette déclaration a été publiée après que le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a indiqué qu’il avait fait part de ses préoccupations directement à la commissaire Kelly.

« Je lui ai exprimé pas seulement mon avis en tant qu’ancien procureur général pour le gouvernement fédéral, mais au nom de tous les Canadiens qui ont été aussi vraiment choqués par cette décision », a-t-il dit en point de presse lundi. La commissaire Kelly « m’a assuré qu’ils vont faire un examen sur cette décision de le transférer ».

Pour quels motifs ?

Tim Danson, un avocat représentant les familles des victimes, a déclaré qu’il avait été informé la semaine dernière que Bernardo avait été transféré. Mais le service correctionnel fédéral a refusé de lui fournir une raison du transfert ou des détails sur les conditions de détention du tueur, invoquant ses droits en vertu de la loi fédérale sur la confidentialité.

Le ministre Mendicino a déclaré lundi qu’il croyait que les Canadiens avaient droit à une justification pour ce transfert.

Dans sa déclaration, le Service correctionnel a expliqué que le classement par niveau de sécurité et les transferts « sont déterminés en fonction des risques pour la sécurité publique et d’évasion, du niveau d’adaptation à l’établissement et d’autres renseignements relatifs au cas, comme les résultats des évaluations psychologiques du risque ».

L’agence souligne aussi que Bernardo a été désigné délinquant dangereux, une catégorie de délinquants qui font l’objet « d’une surveillance étroite ».

« Il importe de noter que les établissements à sécurité moyenne sont dotés des mêmes contrôles périmétriques que les établissements à sécurité maximale, indique l’agence. Dans ces établissements, une surveillance étroite est assurée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les déplacements des détenus sont contrôlés et des protocoles de sécurité rigoureux sont en place. »

Les leaders politiques indignés

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré lundi en conférence de presse à Ottawa qu’il comprenait à quel point les Canadiens étaient « choqués et consternés » par cette décision. C’est pourquoi, a-t-il dit, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, devait soulever la question cette semaine auprès de la commissaire du Service correctionnel.

Il a suggéré que les préoccupations concernant la transparence de la décision feraient partie des conversations du ministre Mendicino avec la commissaire.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a qualifié lundi de « scandaleux » ce transfert. « Le gouvernement devrait revoir tous les pouvoirs dont il dispose pour annuler cette décision ridicule, a-t-il dit aux journalistes. M. Bernardo est un monstre et sa place est en sécurité maximale. »

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a indiqué de son côté dans un communiqué que « Bernardo devrait croupir dans une prison à sécurité maximale pour le reste de sa misérable existence. Point final. »

Me Tim Danson estimait dimanche en entrevue qu’il était inacceptable que le Service correctionnel dissimule des informations à ses clients et au grand public sur le transfert de Bernardo, affirmant que les familles des victimes souhaitaient le voir renvoyé dans un établissement à sécurité maximale.

« C’est l’un des tueurs sadiques et psychopathes les plus notoires du Canada, déclarait-il à La Presse Canadienne. Il faut que les citoyens, massivement, par millions, écrivent au ministre, à la commissaire du Service correctionnel et aux membres du Parlement, pour exprimer leur indignation à ce sujet – que le secret ne fonctionnera pas : nous exigeons la transparence. »

Me Danson soutient que les familles de Kristen French et de Leslie Mahaffy avaient été choquées d’apprendre le transfert de Bernardo – une décision qui remue des décennies de tourment et de chagrin.

« Et ensuite, que je doive leur dire en tant qu’avocat et ami : “J’ai peur de ne pas avoir de réponses pour vous à cause du droit à la vie privée de Bernardo”, a-t-il indiqué. Évidemment, leur réponse est celle à laquelle vous vous attendriez : “Et les droits de Kristen ? Et les droits de Leslie ? Et [nos] droits ? ‘’

Selon Me Danson, le statut de délinquant dangereux de Bernardo rend d’autant plus déroutant le transfert dans un établissement à sécurité moyenne, avec des conditions de vie plus clémentes. « Nous avons besoin d’une discussion et d’un débat ouverts et transparents. Ce sont de très grandes institutions publiques payées par les contribuables du Canada. »

Il a suggéré que le traitement de l’affaire par le Service correctionnel risquait d’amener le public à perdre confiance dans tout le système. « Ils veulent tout faire à huis clos et en secret. »

« Le ministre Mendicino a soutenu lundi qu’il avait souligné à la commissaire Kelly qu’il fallait “mettre les comités de victimes, les familles des victimes au centre de notre approche sur des décisions comme celles-là”.

« Et je vais travailler avec le Service correctionnel pour assurer des résultats qui sont justes et qui sont explicables aux Canadiens », a-t-il promis.