Une femme qui affirme avoir été recrutée à l’école secondaire par un réseau d’exploitation sexuelle au service du milliardaire montréalais Robert Miller a déposé mercredi une nouvelle poursuite en justice, dans laquelle elle réclame 8 millions de dollars à l’homme d’affaires, à ses collaborateurs ainsi qu’à l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth. La plaignante cible aussi la multinationale Future Electronics, qui servait de « base d’opération » au réseau, selon sa requête.

La plaignante, identifiée par les initiales A. B. dans la requête, dit avoir été victime d’un « système planifié d’exploitation sexuelle de jeunes filles mineures ou récemment majeures ». Elle est représentée par MJean-Philippe Caron et MGabriel Bois, du cabinet Calex Legal. Le juge de la Cour supérieure Christian Immer a prononcé une ordonnance de non-publication sur son identité à ce stade du processus judiciaire.

« Le Réseau Miller, tel qu’il le sera démontré plus amplement, était un réseau complexe et organisé dont l’objectif principal était le recrutement de jeunes filles mineures afin d’assouvir les pulsions sexuelles de Robert Miller, et ce, sans égard à l’illicéité de ce réseau d’exploitation dans notre système de droit ni aux droits fondamentaux des victimes », précise la requête déposée au palais de justice de Montréal et que La Presse a obtenue.

La Demanderesse a été victime pendant plus de vingt ans du Réseau Miller et continue encore aujourd’hui d’en ressentir de graves répercussions.

Extrait de la requête

Nombreux témoignages

La poursuite fait suite à la diffusion d’un reportage de l’émission Enquête de Radio-Canada en février. L’enquête journalistique évoquait une dizaine de femmes qui disent avoir eu des relations sexuelles contre de l’argent avec le milliardaire Robert Miller, fondateur de Future Electronics, entre 1994 et 2006. Six d’entre elles auraient affirmé qu’elles étaient mineures au moment des faits.

Le reportage décrit tout un système de recrutement, d’encadrement et de distribution de cadeaux et d’argent pour les filles.

Robert Miller s’était vigoureusement défendu à l’époque. « M. Miller nie avec fermeté et véhémence les allégations malicieuses faites contre lui et confirme qu’elles sont fausses et complètement non fondées et qu’elles ont été soulevées à la suite d’un divorce acrimonieux. Elles sont maintenant répétées pour un gain financier », précisait un communiqué diffusé par son entreprise. La police de Montréal, qui avait déjà enquêté sur ces allégations sans que des accusations criminelles soient portées, a rouvert une enquête criminelle après la diffusion du reportage. Une demande d’action collective au nom des adolescentes a aussi été déposée en cour.

Des parallèles

A. B. dit avoir vu l’émission et fait des parallèles avec sa propre expérience.

Issue d’une famille d’immigrants aux revenus modestes qui ne pouvaient se permettre de dépenses superflues, elle aurait été vulnérable, aurait éprouvé des problèmes de confiance en elle et aurait été très impressionnée par la possibilité de faire de l’argent lorsqu’elle a été contactée par une amie de son école secondaire, en 2001. Selon la poursuite, elle aurait reçu des cadeaux dès sa première rencontre avec M. Miller, au cours de laquelle elle a eu une relation sexuelle complète. Elle était alors mineure.

En avril 2002, son amoureux aurait mis fin à leur relation en apprenant qu’elle était payée pour des rencontres avec le riche homme d’affaires. L’affaire se serait ébruitée dans son entourage et elle aurait fait une tentative de suicide, toujours selon la requête.

En détresse psychologique, se sentant seule au monde, la Demanderesse n’a pu trouver d’apaisement que dans le confort matériel de la vie de luxe qu’elle vivait grâce à Robert Miller.

Extrait de la requête

La plaignante aurait reçu plusieurs voyages, des services d’orthodontie, un véhicule, des vêtements de luxe, des repas gastronomiques et de l’argent, entre autres. Lorsqu’elle a pris du poids, l’homme d’affaires lui aurait payé un séjour d’une semaine dans un centre d’amaigrissement au Vermont. La femme affirme que le milliardaire a toujours refusé de porter des préservatifs lors des relations sexuelles. Elle dit avoir été sous l’emprise psychologique et économique du président de Future Electronics.

Plusieurs employés visés

La femme, qui dit souffrir de graves séquelles psychologiques, affirme par ailleurs selon la requête que « plusieurs employés clés de Future Électronique participaient activement à l’élaboration et au maintien du Réseau Miller, entrant directement en contact avec les victimes au bénéfice direct de Robert Miller ».

La multinationale montréalaise servait de « base d’opération » au réseau et « les employés clés utilisaient les ressources à leur disposition chez Future Électronique pour administrer et encourager les pratiques illégales de Robert Miller et de son réseau », ajoute la poursuite.

Deux anciens vice-présidents exécutifs de l’entreprise, Sam Joseph Abrams et Helmut Lippman, sont aussi visés par la procédure, de même que Queen Elizabeth Hotel, la société qui détient l’hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth, sur le boulevard René-Lévesque. La plaignante affirme que certaines rencontres de jeunes filles avec le milliardaire avaient lieu à cet endroit.

« Tel qu’il le sera démontré, le Reine Elizabeth a fait preuve de complaisance et d’aveuglement volontaire quant aux nombreuses visites effectuées par de jeunes filles à la chambre de Robert Miller alors qu’il savait ou aurait dû savoir que des activités illicites avaient lieu dans son établissement », précise la requête.

L’histoire jusqu’ici

  • Le 2 février, l’émission Enquête de Radio-Canada a diffusé un reportage sur « le système Miller ». Une dizaine de femmes disaient avoir eu des relations sexuelles contre de l’argent avec le milliardaire entre 1994 et 2006. Six d’entre elles auraient affirmé qu’elles étaient mineures au moment des faits.
  • Le 3 février, Robert Miller démissionne de son poste de président de Future Electronics, la multinationale qu’il a fondée, tout en niant les allégations à son endroit. Il demeure toutefois propriétaire de l’entreprise.
  • Le 22 février, une femme dépose une demande d’action collective au nom de toutes les adolescentes qui auraient été recrutées pour offrir des services sexuels à M. Miller. La demanderesse dans ce dossier dit avoir été recrutée vers 1996 à l’âge de 17 ans.
  • Le 10 mai, une femme dépose individuellement une nouvelle poursuite contre Robert Miller et plusieurs codéfendeurs.