Un Québécois devenu une figure de proue de l’extrême droite américaine a été condamné lundi pour avoir fomenté la haine contre les Juifs en exhortant ses lecteurs à « passer à l’action » contre eux. Gabriel Sohier-Chaput est une personne toujours « extrêmement dangereuse », selon le juge.

« Sur le prétexte d’écrire des textes humoristiques, satiriques et ironiques, Gabriel Sohier-Chaput a sciemment fait diffuser publiquement des messages haineux dans le but de recadrer ses idéologies fondées sur la haine, espérant ainsi influencer les lecteurs et propager ses messages haineux au grand public », a conclu le juge Manlio Del Negro dans un jugement de 72 pages, lu pendant deux heures au palais de justice de Montréal.

Gabriel Sohier-Chaput était connu sous le pseudonyme Zeiger au sein du mouvement de l’extrême droite aux États-Unis. En 2016 et en 2017, ce Montréalais de 36 ans était même l’auteur le plus prolifique de l’influent site néonazi The Daily Stormer, où la silhouette d’Adolf Hitler trône sur chaque page.

L’intellectuel néonazi était accusé d’avoir volontairement fomenté la haine contre les Juifs en raison d’un seul article en particulier, publié il y a cinq ans sur The Daily Stormer. Cette publication ridiculisait l’expérience d’un survivant d’Auschwitz en reprenant un reportage télé portant sur la découverte d’affiches néonazies à un arrêt d’autobus en Colombie-Britannique.

Au début de l’article, Gabriel Sohier-Chaput écrit que 2017 serait « l’année de l’action ». Il évoque alors les Juifs et poursuit en prônant le « nazisme, partout, [non-stop nazism] jusqu’à ce que nos rues soient inondées par les larmes de nos ennemis ».

Selon le juge Del Negro, de tels propos sont un « ralliement – une exhortation de passer à l’action […] pour reprendre la persécution des Juifs et que ces derniers ne seront pas laissés en paix ».

« Le message est provocateur et incitateur, ayant pour but de désensibiliser les lecteurs à l’usage de la violence. Le message véhiculé est la promotion du nazisme et de son idéologie, soit la persécution et l’extermination des Juifs. Il incite le lecteur à considérer les Juifs comme étant leurs ennemis et, en conséquence, de ne pas aimer et à vouloir les détester », conclut le juge.

Aux yeux du juge, il est « clair comme de l’eau de roche » que Gabriel Sohier-Chaput savait que ses écrits inciteraient à la détestation des Juifs. Son ton « hargneux, agressif et violent » prônant la violence du nazisme démontre ses « intentions malveillantes », selon le juge.

Une défense de satire

Gabriel Sohier-Chaput prétendait avoir voulu faire preuve d’humour, de satire et d’ironie, et saper la rectitude politique. Il voulait « faire rire », avait plaidé la défense. Le juge Del Negro ne manque pas de qualificatifs pour rejeter cette défense.

« Le Tribunal estime que les explications fournies sont spécieuses, insincères, opportunistes, trompeuses, farfelues, invraisemblables, dissimulatrices de la vérité et bricolées pour dissimuler l’intention véritable de l’accusé », assène le juge, qui souligne même le « machiavélisme » de l’accusé.

La deuxième partie de l’article – que Gabriel Sohier-Chaput attribuait à l’éditeur du site, le suprémaciste blanc Andrew Anglin – a bien été écrit par l’accusé, selon le juge. Dans cette partie, l’auteur écrit que la « tradition ancestrale » d’injurier les Juifs dans la rue devrait « assurément » être de retour. Il utilise de plus des expressions très offensantes à l’égard des Juifs.

L’article inclut par ailleurs une image montrant un commandant nazi au sourire carnassier en train d’ouvrir une valve de gaz, une allusion à l’Holocauste.

Au procès, l’avocate de la défense, Me Hélène Poussard, a remis en question le fait qu’il était de « connaissance judiciaire » que le régime nazi avait exterminé des millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La défense n’a soumis aucune preuve pour appuyer ses propos, relève le juge.

Or, l’extermination des Juifs par les nazis est un fait historique incontestable, martèle le juge. Cette contestation était « vouée à l’échec », selon le juge, qui se montre très dur à l’endroit de MPoussard. Certains commentaires de l’avocate n’avaient pas « leur place dans une cour de justice », selon le juge.

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Me Hélène Poussard

Au procès, MPoussard a défendu la thèse que des « gens » étaient morts dans un camp de concentration, « parce qu’on voulait sauver de l’argent ». Elle ajoutait que les « Allemands » avaient tué les Juifs, et pas nécessairement les « nazis ».

Ces tensions entre MPoussard et le juge ont éclaté lundi, lorsque le magistrat a créé la surprise en ordonnant la détention immédiate de Gabriel Sohier-Chaput – sous les applaudissements de militants d’extrême gauche dans la salle. MPoussard a alors demandé au juge si sa décision était liée à la plainte qu’elle avait déposée contre lui au Conseil de la magistrature.

Même s’il se dit toujours « très inquiet de la dangerosité de l’accusé », le juge a finalement libéré sous conditions Gabriel Sohier-Chaput en après-midi. Selon le juge, rien n’indique que l’auteur a changé « d’idéologie haineuse depuis 2017 ». Son idéologie est même encore plus « manifeste », a-t-il insisté.

« Il peut se réfugier derrière n’importe quel clavier dans le monde pour reprendre son idéologie haineuse », s’est inquiété le juge. Le procureur MPatrick Lafrenière entend demander trois mois de détention. MAntonio Cabral représentera désormais l’accusé. Les observations sur la peine auront lieu dans les prochaines semaines.