Une mère de l’Alabama accuse MindGeek d’avoir diffusé des vidéos du viol de son fils de 12 ans sur le site Pornhub, qui auraient été visionnées plus de 188 000 fois partout dans le monde, a appris La Presse. Elle poursuit le géant montréalais de la pornographie dans l’espoir d’obtenir des millions en dommages.

La procédure civile, déposée en octobre devant un tribunal de l’Alabama, vise aussi celui qui a filmé ces vidéos, Rocky Shay Franklin. L’homme a plaidé coupable en mai dernier à plusieurs crimes liés au viol de mineurs, dont celui du garçon de 12 ans, et à la distribution de pornographie juvénile.

Dans le document judiciaire que nous avons obtenu, les avocats de la mère expliquent en détail comment Franklin a non seulement agressé l’enfant, mais aussi publié les vidéos de ses agressions sur Pornhub sans jamais être dérangé. La « relation contractuelle » entre le violeur et MindGeek, propriétaire du site web, ne fait aucun doute, avancent-ils dans la poursuite.

« Les défendeurs ont profité de l’exploitation de la violence sexuelle et de la traite d’humain subies par le plaignant », résument-ils.

« Mon neveu préféré »

Rocky Shay Franklin a créé un compte sur Pornhub en mai 2019, indique le document. Ce site web permet à des utilisateurs de partout dans le monde de téléverser leurs vidéos, comme ils pourraient le faire sur YouTube. Plus leurs vidéos sont populaires, plus ils récoltent des revenus tirés des publicités.

Selon la poursuite, Franklin se décrivait comme « acteur » porno et vendait les vidéos de ses actes sexuels entre 5 $ et 20 $ à ses abonnés. L’une d’elles, appelée « Mon neveu préféré », a été visionnée plus de 50 000 fois, explique-t-on.

D’autres vidéos impliquant l’enfant étaient intitulées « Un autre ado vierge », « Je vole la virginité d’un ado » ou encore « Le secret d’un oncle ». Ces titres « suggéraient clairement que l’enfant dépeint (dans les vidéos) était un mineur », fait-on valoir.

La poursuite cherche à démontrer la responsabilité de l’entreprise montréalaise dans la dissémination de ces images sur le web. « MindGeek contrôle activement quelles vidéos sont publiées et de quelle façon ; les discussions et commentaires entourant des vidéos et des images en particulier ; les processus pour visionner, publier et créer des comptes. »

MindGeek tarde à réagir

Selon la poursuite, les autorités judiciaires de l’Alabama ont demandé à MindGeek de retirer les vidéos de ses sites web le 18 novembre 2019, puisqu’elles mettaient en scène un mineur. Elles ont dû réitérer cette requête à plusieurs reprises avant que les images soient finalement retirées le 13 décembre, presque un mois plus tard, affirme-t-on.

Dans un courriel envoyé à La Presse, MindGeek a indiqué être « au courant » qu’une poursuite avait été déposée dans une cour fédérale de l’Alabama. « Nous sympathisons avec toute victime qui a souffert d’abus d’une personne de confiance, c’est pourquoi nous avons une tolérance zéro pour le matériel illégal ou les mauvais acteurs qui tentent de le télécharger. Dans ce cas, nous avons coopéré avec les autorités, ce qui a conduit à la condamnation de ce criminel à 40 ans de prison fédérale. »

MindGeek dit avoir « mis en place les protections les plus complètes dans l’historique de la plateforme générée par les utilisateurs afin d’atténuer la capacité des criminels à télécharger avec succès du matériel illégal ».

L’entreprise exploite l’un des réseaux de sites pour adultes les plus populaires de la planète (avec, entre autres, Pornhub, Youporn, RedTube et XTube), qui ont reçu en moyenne 115 millions de visites par jour en 2019. Plusieurs filiales et entités appartenant à MindGeek sont aussi citées dans la poursuite.

Sur le web « pour toujours »

La procédure judiciaire est pilotée par un consortium de cabinets d’avocats de l’Alabama – État où les vidéos ont été filmées et distribuées – et de la Géorgie. L’avocat principal au dossier, Joseph Parker Miller, dit avoir bon espoir que le tribunal acceptera d’ouvrir un procès devant jury avec cette cause.

« Ce qui rend ça intéressant, c’est le fait que nous avons un accusé au criminel qui a plaidé coupable et a été condamné à 40 ans de prison, a-t-il fait valoir à La Presse. On connaît déjà un certain nombre de détails. »

Plusieurs étapes restent à franchir avant un éventuel procès. Mais chose certaine, l’enfant présent dans les vidéos est aujourd’hui lourdement traumatisé, avance l’avocat du cabinet d’Atlanta Beasley Allen Crow Methvin Portis & Miles.

« Une fois que vous publiez des vidéos d’un enfant victime de viol à large échelle sur le web, ça y restera pour toujours, dit-il. La scène de crime restera toujours sur le web, quelque part. »

Laila Mickelwait, fondatrice et présidente de l’organisme américain Justice Defense Fund et instigatrice du mouvement #traffickinghub, se dit horrifiée par le contenu de cette nouvelle poursuite. Elle a lancé en 2020 une pétition pour dénoncer les activités de MindGeek, qui a recueilli plus de 2,5 millions de signatures.

Le violeur de ce garçon de 12 ans a été condamné à 40 ans de prison, mais les propriétaires et dirigeants de MindGeek, qui ont facilité ces crimes horribles sur Pornhub et en ont profité, sont des hommes libres.

Laila Mickelwait, fondatrice et présidente de l'organisme Justice Defense Fund

MindGeek compte plusieurs centaines d’employés à son siège social montréalais, un édifice en miroirs situé sur le boulevard Décarie, devant la célèbre Orange Julep. L’entreprise compte aussi un réseau de filiales dont plusieurs sont situées dans des pays à la fiscalité avantageuse comme Chypre, l’Irlande et le Luxembourg.

Il s’agit d’une tuile supplémentaire pour l’entreprise, qui fait face à plusieurs poursuites et demandes d'actions collectives aux États-Unis et au Canada, depuis la publication d’une enquête du New York Times en 2020. Au moins 194 victimes alléguées sont représentées dans différentes procédures judiciaires.

Visa et Mastercard ont rompu leurs liens d’affaires avec MindGeek l’été dernier, dans la foulée d’une poursuite intentée contre le groupe en Californie.