La Cour suprême du Canada déclare que certaines sections du Registre national des délinquants sexuels sont inconstitutionnelles.

Dans une décision publiée vendredi, le plus haut tribunal du pays conclut que l’inscription obligatoire de tous les délinquants sexuels qui cumulent plus d’une condamnation, quel que soit leur risque de récidive, a « une portée excessive ». La Cour conclut également que le maintien des délinquants dans le registre pour le reste de leur vie viole la Constitution canadienne.

« Bien que l’inscription obligatoire soit attrayante en raison de sa simplicité et de sa facilité d’application, le fait qu’il soit commode d’exiger l’inscription de tous les délinquants sexuels ne la rend pas constitutionnelle », écrit le tribunal dans une décision majoritaire.

Cet arrêt est lié à la condamnation d’Eugene Ndhlovu, qui avait plaidé coupable en 2015 pour des agressions sexuelles commises contre deux femmes en 2011.

On a appris au procès que M. Ndhlovu, qui avait 19 ans à l’époque, avait été amené à une fête rendue publique par une annonce sexuellement explicite sur Facebook. Lors de cette fête, il avait touché une femme aux fesses et une autre au vagin.

L’homme avait ensuite purgé six mois de prison, assortis de trois ans de probation, et son risque de récidive était alors considéré comme minimal par les experts de la Couronne.

En vertu des modifications apportées en 2011 à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, le nom de M. Ndhlovu aurait été ajouté de façon permanente à la liste, sans aucun pouvoir discrétionnaire de la juge au procès ou de la Couronne.

Or, la juge au procès a conclu que la Couronne n’avait présenté presque aucune preuve démontrant que l’inscription obligatoire au registre avait aidé les enquêtes policières sur les agressions sexuelles. La juge Andrea Moen a donc conclu que les avantages pour la société de l’inscription obligatoire à perpétuité ne justifiaient pas les impacts sur la vie de M. Ndhlovu, qui représentait un risque minimal de récidive.

La décision de la juge Moen a été annulée par la Cour d’appel de l’Alberta, mais est maintenant confirmée par la Cour suprême.

Gravités variables

Dans son arrêt, vendredi, le plus haut tribunal conclut que le registre n’est pas destiné à punir les contrevenants, mais à aider les services de police. La cour rappelle qu’il existe actuellement 27 différentes infractions sexuelles, de très variables gravités, qui exigent que les contrevenants soient inscrits au registre national.

La Cour suprême rappelle que la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels a presque 20 ans. « Or, malgré sa longue existence, il y a peu de preuves concrètes, voire aucune, de la mesure dans laquelle elle aide la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles-ci », écrivent les juges.

Par contre, les effets d’une inscription au registre sont graves, indique le tribunal. Les contrevenants doivent signaler à la police s’ils changent d’adresse, voyagent ou obtiennent un permis de conduire ou un passeport, et peuvent être contactés par la police à tout moment. Sans compter la stigmatisation qui accompagne l’inscription au registre.

Les répercussions sur la liberté du délinquant « ne peuvent à juste titre être qualifiées que de graves », écrit le tribunal.

Trois juges n’étaient pas d’accord avec la majorité sur l’invalidité de l’inscription obligatoire, bien qu’ils aient convenu que l’inscription à perpétuité ne pouvait, elle, être justifiée. Les dissidents écrivent qu’avant que l’inscription ne soit rendue obligatoire, trop de juges refusaient d’exiger que les délinquants y soient inscrits, ce qui en réduisait l’efficacité.

Mais Elvis Iginla, l’avocat de M. Ndhlovu, a déclaré que la loi actuelle réduisait l’utilité du registre en le diluant avec des délinquants à faible risque, comme son client.

« Nous n’avons aucun problème avec le fait qu’il est nécessaire de créer un registre des délinquants sexuels, a-t-il déclaré. C’est essentiel qu’il y en ait un. (Mais) vous ne voulez pas y voir les noms de gens qui ne devraient pas s’y retrouver. »

Le tribunal a donné au gouvernement fédéral un an pour réécrire sa loi avant que la disposition d’inscription obligatoire au registre ne soit annulée. L’exigence d’inscription à perpétuité, quant à elle, est annulée immédiatement.

L’arrêt exempte par ailleurs M. Ndhlovu de toute inscription au registre. L’homme a un casier judiciaire vierge depuis sa condamnation, a indiqué Me Iginla. « Il essaie de passer à autre chose. Il ne croit pas qu’il ne mettra jamais en danger qui que ce soit et il voulait avoir la chance de le prouver. »