Sollicitée jour et nuit, une policière du Service de police du Nunavik a à peine pu dormir durant les quatre semaines où elle a travaillé en août dernier dans la communauté de Quaqtaq. La pénurie de personnel policier qui touche le nord du Québec depuis plus d’un an n’est toujours pas réglée, et a même atteint un seuil « alarmant » l’été dernier, reconnaît le chef de police du Nunavik, Jean-Pierre Larose.

Ce dernier souligne que la pénurie de main-d’œuvre policière au Nunavik dure depuis des mois et que l’été a été « particulièrement difficile ».

Se disant « épuisée physiquement et émotionnellement » et « déplorant l’absence de repos durant son séjour […] dans la communauté inuit de Quaqtaq », une agente du Service de police du Nunavik a fait un signalement à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) en août. Dans le rapport obtenu par La Presse grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, on peut lire que cette policière était « surchargée de travail » et qu’elle dormait « très peu » puisqu’elle devait « intervenir de jour sur son horaire régulier et être disponible pour intervenir sur appel avec les policiers en support de la Sûreté du Québec ». « Ces derniers ne sont pas autorisés à intervenir seuls, selon une consigne de la SQ et non pas du service de police nordique », est-il écrit dans le rapport de la CNESST.

Il y avait 25 patrouilleurs au Service de police du Nunavik, l’été dernier, « alors qu’il devrait y en avoir 63 pour couvrir les 14 villages », peut-on lire. « Ainsi, 6 villages sont présentement en sous-effectifs », est-il aussi indiqué. L’inspecteur de la CNESST Patrick Bourdages mentionne aussi que le chef de police Jean-Pierre Larose « est alarmé par la situation et qu’il veut agir en augmentant les effectifs et/ou en trouvant un moyen que ses effectifs en place puissent avoir des périodes de repos suffisantes pour leur sécurité ».

M. Larose souligne que plusieurs corps policiers manquent de main-d’œuvre au Québec. Mais la situation est « encore plus critique » dans le Nord. Le Service de police du Nunavik a demandé l’assistance de la Sûreté du Québec (SQ) il y a plus d’un an. Baptisé « opération CERF », le projet permet l’envoi de patrouilleurs de la SQ dans le Nord.

« Une carrière au Nord, une vie au Sud »

Si « la situation était très préoccupante » l’été dernier, elle s’est améliorée depuis, selon M. Larose. Les efforts de recrutement ont été accentués. Des policiers retraités ont été embauchés. On compte actuellement 55 patrouilleurs au Service de police du Nunavik, 16 autres de la SQ et 9 sergents.

« On réfléchit à des primes d’attractivité », dit M. Larose. Un projet pilote est également en place et permet d’offrir aux patrouilleurs de deux villages des horaires de deux semaines de travail suivies de deux semaines de congé, contrairement aux horaires de cinq semaines de travail consécutives utilisés jusqu’à maintenant. « On veut essayer d’offrir une carrière au Nord, tout en ayant une vie au Sud », dit M. Larose, qui estime qu’il y a un « engouement » pour ces nouveaux horaires.

M. Larose ajoute que des « directives organisationnelles » ont été changées depuis l’été. Alors qu’on exigeait auparavant qu’au moins un patrouilleur du Service de police du Nunavik se rende sur chaque intervention, ce n’est plus le cas. « Ça permet du repos à nos policiers », dit-il.

Recrutement difficile

« Le recrutement et la rétention des employés sont parmi les principaux défis » du Service de police du Nunavik, peut-on lire dans un rapport intitulé Services policiers et Inuit du Nunavik (Arctique québécois) – Mieux se connaître pour mieux s’entraider, publié en janvier 2020 par la Chaire de recherche sur les relations avec les sociétés inuites de l’Université Laval.

M. Larose ne le cache pas : la pratique policière dans le Nord, quoique très stimulante, est difficile. « Un an au Nord, ça équivaut à trois ans au Sud », dit-il.

La région fait face depuis de nombreuses années à des problèmes sociaux majeurs. Les taux de violence et de criminalité sont beaucoup plus élevés que dans le reste de la province.

Extrait du rapport Services policiers et Inuit du Nunavik (Arctique québécois) – Mieux se connaître pour mieux s’entraider

Les candidats restent six mois en poste en moyenne au Nunavik. « La rétention est difficile. C’est un éternel recommencement », dit M. Larose. « Parmi les facteurs qui contribuent à un fort taux de violence, il faut ajouter la pauvreté, les traumatismes intergénérationnels, mais aussi le manque et le surpeuplement des logements », peut-on lire dans le rapport de la Chaire de recherche de l’Université Laval.

Lors de sa création en 1996, le Service de police du Nunavik (anciennement Corps de police régional Kativik) voulait devenir un service de police autochtone. Or, on y compte actuellement seulement trois policiers inuits. Recruter ces candidats est difficile, souligne M. Larose. « La plus grande difficulté pour les policiers inuits est de devoir intervenir auprès des membres de leur famille », est-il écrit dans le rapport de la Chaire de recherche de l’Université Laval.

Il y a un an, le Service de police du Nunavik a modifié son nom. Le logo de l’organisation, autrefois un ours plutôt agressif, a aussi été remplacé par un harfang des neiges. Un geste « symbolique », selon M. Larose, qui vise à « marquer un virage pour améliorer la relation entre la police et la communauté ». « Je lance un appel aux candidats : venez travailler dans le Nord », dit M. Larose.

Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard, La Presse