Le « convoi de la liberté » a beau avoir quitté Ottawa depuis des mois, de derniers récalcitrants liés au mouvement se sont retranchés dans une ancienne église où ils ont établi leur quartier général. Et malgré un ordre d’éviction, ils promettent de rester.

(Ottawa) Ils l’appellent l’« ambassade ». Et même s’ils sont sous le coup d’un ordre d’éviction, les membres du mouvement The United People of Canada (TUPOC) ont l’intention de continuer d’y mener leurs activités plus ou moins diplomatiques — au grand dam de la collectivité où ils cherchent à s’enraciner.

À l’ombre des clochers de l’ancienne église St. Brigid, où leur groupe a établi son quartier général, Christine Cameron et DJ Freedom 613 jurent dur comme fer que leur groupe n’a aucun lien avec le « convoi de la liberté » qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines l’hiver dernier. Du même souffle, ils affirment avoir participé à l’occupation.

Le duo nie aussi vigoureusement que TUPOC a créé une force de sécurité privée. « Ce qui a été écrit dans les journaux, ce n’est pas vrai. Il n’y a pas de force de sécurité, juste des bénévoles qui veillent au grain, pour s’assurer qu’aucun dommage ne soit fait à la propriété », dit DJ Freedom 613, qui avait chaud sous son gilet pare-balles.

  • Des bannières avec le logo du mouvement encadrent la porte de l’ancienne église St. Brigid.

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    Des bannières avec le logo du mouvement encadrent la porte de l’ancienne église St. Brigid.

  • À l’intérieur de l’église, le logo du mouvement côtoie les symboles religieux.

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    À l’intérieur de l’église, le logo du mouvement côtoie les symboles religieux.

  • Un bar se trouve au sous-sol de l’église convertie en centre communautaire irlandais en 2017.

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    Un bar se trouve au sous-sol de l’église convertie en centre communautaire irlandais en 2017.

  • Avis d’éviction collé dans une vitre de l’ancienne église

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    Avis d’éviction collé dans une vitre de l’ancienne église

  • Une manifestante s’exprime contre le « convoi de la liberté » devant l’église, sous le regard de sympathisants du mouvement The United People of Canada.

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    Une manifestante s’exprime contre le « convoi de la liberté » devant l’église, sous le regard de sympathisants du mouvement The United People of Canada.

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Ils se moquent de l’avis d’expulsion qui leur pend au bout du nez.

Même son de cloche de la part de William Komer, l’un des directeurs du conseil d’administration du groupe. Car cette « tentative » de les chasser de cet ancien lieu de culte de la Basse-Ville est « illégale » ; le propriétaire de la place a « violé le Code des droits de la personne de l’Ontario » en les « discriminant », fustige-t-il.

L’homme jure que le loyer mensuel de 10 000 $ a été versé au propriétaire de l’église convertie en centre communautaire irlandais en 2017 — son sous-sol abrite un bar — et qui a été remise sur le marché à un prix de vente de 5,95 millions.

Cette version est contredite par Dave, l’huissier qui se présente sur les lieux pour une troisième fois, vendredi. Il était cette fois venu déposer des constats de stationnement illégal sur les pare-brise des véhicules garés sur le terrain contesté. « Ils savent qu’ils n’ont pas payé le loyer. Ils savent que leur bail a été résilié », laisse-t-il tomber en tenant une liasse de documents. Le groupe, insiste Dave, a jusqu’à mercredi prochain pour évacuer les lieux.

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Dave, un huissier venu déposer des constats de stationnement illégal sur les véhicules garés sur le terrain de l’ancienne église

Il y aura possiblement de la résistance.

« Nous ne partirons pas. Pourquoi partirions-nous ? », tranche Diane Nolan, membre du conseil d’administration de TUPOC, qui nie elle aussi être associée au convoi.

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Diane Nolan, membre du conseil d’administration de TUPOC

Oui, j’ai fait de la lessive et j’ai pelleté, mais c’est moi. Suis-je affiliée au convoi ? Non, je suis Diane, et Dieu m’a dit d’être les mains et les pieds de Jésus.

Diane Nolan, membre du conseil d’administration de TUPOC

Drapeaux rouges

Quelques minutes plus tard, un bruit de klaxon se fait entendre dans la rue, au grand bonheur de la petite poignée de sympathisants de TUPOC qui étaient sur place, vendredi après-midi.

« Vous voyez ? », lâche Sam Hersh, de l’organisation communautaire Horizon Ottawa.

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Sam Hersh, de l’organisation communautaire Horizon Ottawa

Le jeune homme nous a donné rendez-vous dans le parc en face de l’église. Il préfère garder ses distances, d’autant que William Komer s’est récemment pointé chez lui, ayant réussi à dénicher son adresse personnelle.

« Ils ont des liens clairs avec le convoi, même s’ils disent le contraire », argue-t-il.

Et cela préoccupe au plus haut point les résidants et les commerçants du quartier situé non loin de l’épicentre de l’occupation de l’hiver dernier, qui ont gardé un goût très amer de cet évènement et craignent qu’on ne fasse de l’ancienne église « une base d’opérations pour l’extrême droite », insiste Sam Hersh.

Sur les entrefaites, deux hommes arrivent dans le même parc.

Ian et Benoît, qui habitent la même rue, mais ne s’étaient jamais croisés, se mettent à ressasser leurs souvenirs de l’occupation d’Ottawa.

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Benoît et Ian discutent dans le parc en face de l’ancienne église.

« C’est la première fois de ma vie que je ressens un tel malaise. Je suis un enfant de la Seconde Guerre mondiale. Il faut rester vigilant, faire attention à ces mouvements qui peuvent percoler. Les drapeaux rouges, on les a directement devant nous », insiste Ian.

Tensions communautaires

Des bannières avec le logo de l’organisation, un arbre, ses racines et ses feuilles d’érable blanches sur fond rouge, encadrent une porte avant de l’ancienne église. Il y en a également à l’intérieur de l’église, où William Komer laisse entrer quelques journalistes, à l’exception d’un reporter local qu’il accuse de se trouver illégalement sur sa propriété.

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William Komer, un des directeurs du conseil d’administration du mouvement The United People of Canada

Dans la nef, il assure avoir les fonds nécessaires en « bons communautaires » pour en faire l’acquisition. Martèle que le caractère patrimonial du bâtiment, qui a un besoin manifeste de rénovations, est respecté. Ajoute que les seules altérations sont le fait de vandales qui veulent les en chasser.

Il nie que son organisation communautaire ait un problème avec la présence des Bergers de l’espoir, organisme venant en aide aux sans-abri et, souvent, à des personnes aux prises avec des dépendances à l’alcool ou à la drogue. Situés non loin de l’église, les Bergers de l’espoir ont reçu l’hiver dernier la visite de manifestants du convoi qui avaient harcelé le personnel.

La tolérance de l’organisation envers les Bergers de l’espoir est contredite par un commerçant local. « Un de leurs membres est venu me demander comment ils pourraient s’en débarrasser. Je l’ai poliment envoyé chier », raconte l’homme. Il refuse d’être identifié. « Je n’ai pas envie de me retrouver avec une vitrine défoncée », plaide l’entrepreneur.

« Ces gens se mobilisent très rapidement »

Doit-on craindre une résurrection du convoi ? TUPOC en est-il un tentacule ?

« C’est difficile à dire, il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas à leur sujet », affirme Stephanie Carvin, professeure adjointe d’affaires internationales à l’Université Carleton, à Ottawa, spécialisée notamment dans les enjeux liés à la sécurité nationale.

Mais les masques sont tombés assez rapidement. Il est clair que cette organisation a des liens très étroits avec des gens qui appuient le convoi et des gens faisant partie du prétendu mouvement pour la liberté au Canada.

Stephanie Carvin, professeure adjointe d’affaires internationales à l’Université Carleton

Il faudra voir si des ténors du convoi viendront à leur rescousse, croit Mme Carvin.

« Ce n’est pas encore arrivé, mais ça pourrait changer assez vite. Ces gens se mobilisent très rapidement, indique-t-elle. Cela dit, je ne peux m’empêcher de m’imaginer ce qui aurait pu arriver si, en février dernier, il y avait eu une base opérationnelle en plein centre-ville… »

Le ras-le-bol d’une mairesse

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE DIANE THERRIEN

Diane Therrien, mairesse de Peterborough

F**k off, you f**kwads (« Allez vous faire foutre, enculés »).

En offrant ces hommages sentis à des sujets de la « reine du Canada » autoproclamée, Romana Didulo, qui ont tenté de procéder à des arrestations citoyennes de policiers dans sa ville, la mairesse de Peterborough, Diane Therrien, a dit tout haut ce que beaucoup de ses collègues pensent tout bas, croit l’ancien maire de Calgary Naheed Nenshi.

Plus spécifiquement, la première magistrate de la ville ontarienne a écrit ceci sur Twitter, mardi passé : « Des gens m’ont demandé de réagir aux évènements du week-end dernier à [Peterborough]. Je déteste donner du temps d’antenne/de l’attention à ces imbéciles. Voici mon commentaire : allez vous faire foutre, enculés ».

Son message a été « aimé » plus de 22 000 fois, relayé près de 6000 fois et a provoqué une avalanche de commentaires, dont celui de l’ex-maire Nenshi. « Généralement, je ne dis pas de jurons. Mais parfois, je suis extrêmement tenté. Je pense qu’ici, la mairesse fait preuve d’une économie de mots remarquable pour dire ce que nous pensons tous », a-t-il réagi.

La principale intéressée, qui dit avoir reçu des mots d’encouragement d’élus des scènes municipale, provinciale et fédérale et de centaines de ses concitoyens, n’a nullement l’intention d’aller à la confesse pour demander pardon d’avoir employé le mot qui commence par un F, très mal vu au Canada anglais.

« Je suis une millénariale, j’aime les jurons », lâche la mairesse Diane Therrien en entrevue.

Et à ceux qui lui ont reproché de s’être abaissée au niveau de vulgarité de protestataires qui, par exemple, brandissent des drapeaux « F**k Trudeau », elle répond « qu’en politique, on doit changer de registre » en fonction de l’interlocuteur.

« Je parle à des gens qui ont des doctorats, à des citoyens que je croise dans la rue, mais ces gens-là ne souhaitent pas avoir un débat sérieux ou académique. Ils sont déconnectés de la réalité, ils vivent vraiment dans un univers parallèle », enchaîne en entrevue celle qui ne brigue pas de nouveau mandat à la tête de Peterborough.

La « reine du Canada » et les disciples de TUPOC

Au moins quatre fidèles de Romana Didulo, tenante du mouvement QAnon, ont jusqu’à présent été arrêtés et accusés en lien avec l’incident survenu samedi dernier devant le quartier général du Service de police de Peterborough.

La prétendue souveraine du Canada était à Ottawa en même temps que le « convoi de la liberté », l’hiver dernier. Des disciples de The United People of Canada (TUPOC) qui sont en cours d’expulsion ont également fait la pluie et le beau temps dans les rues de la capitale fédérale.

Les tentacules de cette mouvance sont donc assez faciles à repérer, dit Diane Therrien.

Ce sont souvent les mêmes personnes qu’on voit. Si on regarde les chiffres, on parle d’une couple de dizaines de gens qui n’ont rien de mieux à faire que d’aller foutre le bordel dans une ville.

Diane Therrien, mairesse de Peterborough

La mairesse sortante ne s’émeut donc pas de l’éviction des adeptes de TUPOC. « Il y a eu une occupation pendant trois semaines l’hiver dernier à Ottawa, et ces gens n’avaient pas subi de conséquences pour les torts qu’ils ont causés. Tant mieux si on agit à Ottawa et à Peterborough », insiste Mme Therrien.

Elle ne s’en fait pas non plus avec ceux qui la soupçonnent d’avoir fait sa sortie avec des mots commençant par la lettre F pour marquer des points politiques.

« Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, mais il y a aussi une raison pour laquelle ça a eu une résonance. Beaucoup apprécient les dirigeants qui s’expriment sans censure, qui n’ont pas peur de se tenir debout face à des intimidateurs », plaide la mairesse.

« Je ne me représente pas, alors je m’en crisse complètement [I have zero fucks to give] », conclut-elle.