Le Tribunal des droits de la personne conclut qu’un homme noir arrêté au volant de sa voiture de luxe a bien été victime de profilage racial de la part du Service de police de la Ville de Repentigny. Même s’il recevra 8000 $ en dommages moraux, François Ducas se dit déçu du jugement, déplorant l’impunité dont jouissent les policières impliquées.

« C’est très décevant de voir le Tribunal insensible au racisme et à la problématique du profilage racial, confie François Ducas en entrevue téléphonique avec La Presse. J’ai trouvé que le Tribunal avait manqué de rigueur dans son évaluation parce que les trois policiers impliqués s’en tirent sans conséquences. »

Le Tribunal a reconnu que c’était du profilage racial, mais a dédouané les policiers en disant que ce n’était pas leur faute, mais celle des “biais inconscients”. Ça me chicote un peu. D’un autre côté, je suis soulagé que le tribunal reconnaisse l’existence du profilage racial à Repentigny.

François Ducas

Le jugement rendu public mercredi par le Tribunal des droits de la personne reconnaît que François Ducas « a subi une atteinte discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité » lors d’une intervention policière en 2017. L’homme avait été intercepté alors qu’il se trouvait au volant de sa BMW.

« Le Tribunal est convaincu que les policières n’auraient pas fait demi-tour pour l’intercepter de façon aléatoire s’il avait été Blanc » et qu’elles entretenaient des « biais inconscients » à l’égard d’un homme noir conduisant un véhicule de luxe, peut-on lire.

Dans un communiqué diffusé mercredi, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) se dit quant à elle « déçue » que le jugement ne donne pas suite à sa demande à la Ville de Repentigny de « se doter d’une politique anti-profilage » et de « procéder à la collecte de données concernant l’appartenance raciale perçue ou présumée des personnes qui sont interceptées ».

Un évènement traumatisant

En décembre 2017, l’enseignant et père de famille d’origine haïtienne quitte le travail au volant de sa BMW lorsque deux policières du SPVR font demi-tour pour le suivre et l’intercepter, afin de contrôler son identité et de vérifier si le véhicule lui appartient. M. Ducas n’avait commis aucune infraction routière.

L’homme, qui affirme avoir été intercepté sans raison à maintes reprises dans le passé, refuse d’obtempérer et appelle le 911, convaincu qu’il s’agit de profilage racial.

Comme il refusait toujours de donner ses papiers, les deux policières et un sergent venu en renfort le menottent, le mettent en état d’arrestation, le fouillent, pour finalement trouver ses papiers d’identité et sa preuve d’assurance.

L’enseignant a reçu quelques jours plus tard deux constats d’infraction : l’un pour entrave à l’action d’un agent de la paix, l’autre pour avoir injurié un agent de la paix.

À la suite de cet évènement, M. Ducas a déposé une plainte à la CDPDJ, qui a porté la cause devant le Tribunal des droits de la personne.

L’intervention policière a bouleversé la vie de l’homme qui se décrit comme un citoyen modèle. Il a souffert d’insomnie pendant des mois et sort rarement de la maison. Trop anxieux pour conduire, c’est sa femme qui doit prendre le volant la plupart du temps.

Les 8000 $ accordés par la juge n’effaceront pas le préjudice subi, dit François Ducas. « Ils m’ont déshumanisé, s’indigne-t-il. Il n’y a pas de prix pour ça. Tout ce que je voulais, c’étaient des excuses. Ça m’aurait soulagé amplement. »

Des démarches « sérieuses »

Dans la foulée du jugement, la Ville de Repentigny a tenu à souligner dans une déclaration écrite que le Tribunal reconnaissait les démarches sérieuses mises en place depuis 2018 avec le Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR) pour contrer le profilage racial.

Elle assure avoir investi « le temps et les ressources nécessaires » avec le SPVR, pour « faire les choses adéquatement » et « concrétiser des changements durables ».

La Ville mentionne notamment son plan d’action pour un « Service de police mobilisé pour sa communauté », lancé en 2021 tout juste après la publication d’un rapport accablant sur le profilage racial à Repentigny.

On y apprenait que les Noirs sont trois fois plus susceptibles d’être interpellés que les Blancs. Ils ne constituent que 7 % de la population de la ville.

« Comme toute personne, les policiers et policières ont des biais conscients et inconscients. Dans l’exercice de leurs fonctions, il est primordial d’en prendre conscience pour que chacune de leurs actions soit exempte de toute forme de discrimination », a déclaré la Ville, qui ne portera pas le jugement en appel.

« C’est à ceux qui vivent à Repentigny de continuer le combat, j’ai vendu ma maison. Je n’aurai plus de problèmes à Repentigny : je m’en vais », lance François Ducas.

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  • 8000 $
    Somme reçue par la victime, François Ducas, pour dommages moraux