Le gouvernement Trudeau a confirmé mercredi avoir déposé une demande auprès des autorités françaises pour afin d’extrader le prêtre Joannès Rivoire pour qu’il puisse faire face à des accusations d’agressions sexuelles qui seraient survenues alors qu’il œuvrait dans le nord du Canada, au Nunavut.

« Une demande d’extradition a été faite envers la France concernant M. Rivoire. La demande a été faite par le Service des poursuites pénales du Canada par l’entremise des fonctionnaires du ministère de la Justice. Afin de préserver l’intégrité du processus, nous ne commenterons pas davantage », a indiqué à La Presse un porte-parole du ministère fédéral de la Justice, Ian McLeod, par courriel.

Cette confirmation revêt un caractère « exceptionnel », ajoute le Ministère, en rappelant que les communications concernant les demandes d’extradition entre les pays sont normalement « confidentielles ». Mardi, l’agence de presse britannique Reuters avait déjà révélé que le gouvernement français avait bel et bien reçu la demande, en citant toutefois des sources diplomatiques anonymes.

Le tout survient alors que la section du Nunavut de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a porté le printemps dernier une nouvelle accusation contre Joannès Rivoire pour l’agression sexuelle présumée d’une femme inuite qui avait témoigné que le père se masturbait en la caressant, alors qu’elle était âgée de 6 ans.

Entre 1998 et 2017, Joannès Rivoire a été sous le coup d’un mandat d’arrêt, lancé par la GRC. Il devait répondre à des accusations d’agressions sexuelles commises sur trois enfants inuits, dont le leader inuit Marius Tungilik, à la fin des années 1960. En 2017, le Service des poursuites pénales du Canada a toutefois suspendu les accusations, jugeant qu’il n’y avait plus de perspective raisonnable de condamnation contre le prêtre catholique.

Marius Tungilik, lui, est tristement mort le matin du 16 décembre 2012. C’est son fils Jesse qui l’a retrouvé inanimé dans son lit. À l’époque, le rapport du coroner avait conclu à une défaillance cardiaque qui aurait été due à un empoisonnement à l’alcool. Son fils y a toutefois vu très clairement un suicide. « Mon père s’est soûlé à mort », avait-il témoigné à la chroniqueuse de La Presse Isabelle Hachey, en avril dernier.

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« Réparer l’héritage honteux des pensionnats »

Joint à ce sujet, le ministre canadien de la Justice, David Lametti, a fait valoir qu'« il est important pour le Canada et ses partenaires internationaux que les crimes graves fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites exhaustives ».

La collaboration et la coopération sont essentielles pour réparer l’héritage honteux des pensionnats. Nous travaillons avec les peuples autochtones pour faire avancer l’important travail de réconciliation au Canada.

David Lametti, ministre de la Justice

Cette demande d’extradition survient de surcroît au moment où le pape François est en visite au Canada ; il était d’ailleurs à Québec mercredi et y sera encore ce jeudi pour prononcer des discours et célébrer une grande messe. L’objectif avoué de son voyage au Canada – il s’est déjà rendu à Edmonton et doit ensuite visiter Iqaluit – est justement d’offrir des excuses aux communautés autochtones pour les mauvais traitements et les agressions sexuelles que des membres de l’Église catholique leur ont fait subir, particulièrement dans les pensionnats.

M. Lametti affirme que son gouvernement demeure « déterminé à travailler avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis partout au Canada pour avancer sur la voie de la guérison et de la réconciliation ». « Aucune relation n’est plus importante que celle avec les peuples autochtones », a-t-il soulevé.

Tout comme son ministère, David Lametti a aussi précisé qu’en tant que ministre, il ne peut « normalement pas dire si une demande d’extradition particulière a été présentée », en insistant à son tour sur le caractère plutôt rare d’une telle confirmation officielle.

Assigné à résidence

Depuis 2013, le père Rivoire est assigné à résidence par sa congrégation, après qu’une enquête canonique a été tenue sur son cas. Il n’a toutefois jamais été jugé pour les accusations qui pèsent sur lui au Canada.

Aujourd’hui âgé de 91 ans, Joannès Rivoire vit à Lyon, dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – l’équivalent en France d’un CHSLD. Le quotidien Le Monde notait en mars 2022 « qu’il se terre dans sa chambre et ne la quitte que pour les repas », ayant du mal à se déplacer physiquement.

« Vous savez qu’il était alcoolique ? avait-il demandé au Monde, en parlant de Marius Tungilik. Mais ne vous trompez pas, il ne s’est pas mis à boire parce qu’il a été abusé, il a dit qu’il avait été abusé parce qu’il avait honte de boire. »

Avec la collaboration d'Isabelle Hachey et de Vincent Larin, La Presse