Neuf personnes ayant travaillé auprès de Dave Allaire, le directeur général de l’organisme Hiboux des jeunes, dénoncent des pratiques violentes ou négligentes. L’organisme, qui exploite un camp de jour, un camp de vacances et un centre d’hébergement d’urgence dans les Laurentides, a été le théâtre d’une intervention de la DPJ la semaine dernière. M. Allaire, qui dément ces allégations, a aussi fait l’objet d’un signalement à la DPJ en 2021, selon des documents consultés par La Presse.

La clientèle de Hiboux des jeunes comprend des enfants neurotypiques et des enfants ayant des besoins particuliers. Ils sont par exemple touchés par un trouble du spectre de l’autisme ou présentent des déficiences intellectuelles et des troubles du comportement. L’organisme a été créé en novembre 2020, d’après son site web.

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Camp Hiboux des jeunes, à Saint-Hippolyte

Le 13 juillet, des intervenants de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ), accompagnés d’agents de la Sûreté du Québec, sont intervenus au camp « sur la base d’éléments signalés », sans donner plus de détails. La DPJ a indiqué avoir recommandé aux parents de retirer leurs enfants du camp, mais celui-ci a pu rouvrir dimanche soir.

Depuis, La Presse a contacté des dizaines de personnes, soit des parents, des employés actuels et d’ex-employés de Hiboux des jeunes, ainsi que d’ex-collègues de M. Allaire. Nous avons recueilli neuf témoignages portant sur des pratiques jugées problématiques.

Toutes ces personnes souhaitent garder l’anonymat, soit parce qu’elles ont peur de M. Allaire, soit pour ne pas nuire à leur employeur ou à leurs clients.

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Geneviève Brais, coordonnatrice du camp Hiboux des jeunes

Rencontré au camp et joint au téléphone par la suite, M. Allaire rejette ces allégations. Environ 70 jeunes étaient présents au camp lundi, selon lui. La coordonnatrice actuelle du camp, Geneviève Brais, également rencontrée sur place, soutient M. Allaire et dit n’avoir jamais été témoin de violence ou de négligence de sa part.

Force excessive

Une ancienne coordonnatrice qui a travaillé à Hiboux des jeunes quelques mois de 2021 à 2022 raconte avoir vu le directeur général soumettre des jeunes à des contentions — les empêchant de bouger par la force — sans motif valable, selon elle, à de multiples reprises dans des situations « banales ».

Ça a été le cas l’hiver dernier avec deux adolescents ayant un trouble du spectre de l’autisme. L’un d’eux a refusé d’aller dans sa chambre après avoir désobéi à une consigne. « Dave l’a juste pris et l’a mis par terre en contention pendant de longues minutes. Il lui tenait les jambes et les bras, couché au sol sur le ventre », explique l’ancienne coordonnatrice.

« Évidemment, ce jeune-là s’est mis en crise », ajoute-t-elle, soulignant qu’à son avis, de nombreuses autres interventions étaient possibles avant l’usage de la force. L’autre adolescent a donné un coup de pied sur une table, suscitant la même réaction de la part de M. Allaire. « La contention, c’est la dernière solution, quand quelqu’un est en danger. Et là, ce n’était pas le cas », se désole-t-elle.

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Enfants au camp Hiboux des jeunes, à Saint-Hippolyte

Une éducatrice spécialisée qui a aussi travaillé à Hiboux des jeunes l’an dernier dit avoir demandé de l’aide à M. Allaire pour gérer la crise d’une enfant de 5 ans, aussi atteinte d’un trouble du spectre de l’autisme. « Elle essayait de nous lancer des objets, mais ma vie n’était pas en danger », explique-t-elle.

[Dave Allaire] lui a fait une mesure de contention par terre. Il mettait son visage au sol, et tout. Pour vrai, moi, j’ai été traumatisée. C’était la première fois que je voyais ça.

Une éducatrice spécialisée qui a travaillé à Hiboux des jeunes l’an dernier, à propos d’une intervention auprès d’un enfant

« Chaque fois que j’ai vu Dave faire une contention, il se prenait pour un joueur de football », se souvient une aide-ménagère qui a travaillé à Hiboux des jeunes pendant quelques mois de 2021 à 2022. « Il se mettait à courir, il ramassait le jeune et le faisait tomber à terre, et là, la contention pouvait commencer », décrit-elle. « Je trouvais ça inutile. »

« Les contentions ont toujours été justifiées », soutient de son côté M. Allaire, qui dit cependant ne pas se souvenir des évènements précis décrits ici.

« Énormément d’interventions inadéquates »

Une enseignante qui a travaillé avec M. Allaire dans une école primaire du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) en 2019 dit qu’il faisait « énormément d’interventions inadéquates auprès des enfants », dont « beaucoup d’usage des contentions physiques ».

Elle raconte par exemple que M. Allaire a « sauté par-dessus une table et [plaqué] un enfant par terre », alors que ce dernier ne faisait que le narguer. L’enfant avait une paire de ciseaux dans les mains, mais « il ne menaçait personne, il les faisait plutôt tourner sur ses doigts », dit-elle. L’intervention de M. Allaire « a déclenché une grosse crise de colère et il a dû sortir l’élève de la classe ».

Une intervenante qui a travaillé avec M. Allaire dans le même contexte évoque aussi des « contentions physiques abusives » et de l’« abus de pouvoir ». « Les élèves en avaient peur », affirme-t-elle. Une éducatrice du CSSDM dit qu’au « moindre geste, il recourait tout de suite à la contention physique ».

« C’est faux, les motifs étaient toujours relatifs à la crise qu’on avait à gérer », dit M. Allaire. Le CSSDM confirme qu’il y a travaillé, mais refuse de commenter son départ pour des raisons de confidentialité.

La Presse a également appris que le directeur général avait fait l’objet d’un signalement à la DPJ en 2021 en raison d’une proximité inappropriée avec un enfant au camp. Selon nos informations, le dossier est clos et aucune accusation n’a été portée.

Questionné à ce sujet, M. Allaire nous a raccroché la ligne au nez.

Négligence

L’éducatrice et la coordonnatrice qui ont travaillé à Hiboux des jeunes font état de nombreuses occasions où des enfants ou des employés ont été mis en danger faute d’encadrement. Deux animatrices qui ont travaillé au camp en 2021 disent avoir vécu des expériences similaires.

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Camp Hiboux des jeunes, à Saint-Hippolyte

Elles disent avoir été blessées et avoir été témoins de blessures chez d’autres employés lorsque des jeunes en crise n’étaient pas suffisamment encadrés. Dans un cas, ces blessures, photos à l’appui, incluent des égratignures et des morsures jusqu’au sang, ainsi que des contusions.

Certains cas lourds auraient dû mobiliser un ou deux intervenants à eux seuls, selon elles, mais plusieurs d’entre eux étaient régulièrement laissés entre les mains de jeunes animateurs n’ayant aucune formation.

M. Allaire admet que de telles blessures sont « des choses qui arrivent », mais soutient que les jeunes aux besoins particuliers sont toujours sous une supervision adéquate. Ces anciennes employées disent aussi que l’encadrement de la médication était déficient, ce que nie M. Allaire.

La propriétaire d’une agence dit avoir retiré ses employés du site en décembre dernier parce que le directeur général « traitait mal [son] personnel et [qu’il] y avait des situations très préoccupantes ». Elle explique que M. Allaire « coupait le personnel au minimum », par exemple.

Ces employés étaient formés pour travailler avec des personnes atteintes de déficience intellectuelle et de trouble du spectre de l’autisme. Ils avaient aussi suivi une formation d’intervention thérapeutique lors de conduites agressives (ITCA), selon la propriétaire de l’agence. Pourtant, « notre personnel n’était pas en sécurité », dénonce-t-elle. « Je voyais de la négligence. »

M. Allaire réitère quant à lui que les jeunes hébergés par son organisme sont toujours adéquatement encadrés.