Le père Léon Lajoie a-t-il agressé des enfants autochtones de Kahnawake ? Rien ne peut « soutenir » de telles allégations, conclut une firme indépendante de Toronto dans un rapport.

Des habitants de la réserve affirment pourtant avoir été agressés par le religieux durant leur enfance. Ils ont fait ces révélations dans la foulée des découvertes de tombes anonymes d’enfants autochtones, à l’été 2021.

Ils demandent aujourd’hui que les restes du père Léon Lajoie – qui a dirigé la Mission Saint-François-Xavier de Kahnawake de 1959 à 1990 – soient déplacés hors du territoire mohawk où il a été enterré en 1999, une exception spectaculaire pour un non-Mohawk.

Ce dossier fait couler beaucoup d’encre à Kahnawake, où il oppose catholiques et traditionalistes depuis plusieurs mois, dans un bras de fer devenu très politique.

L’ordre des Jésuites du Canada a chargé une firme indépendante de faire la lumière sur cette histoire.

Or, rien ne peut « soutenir » les allégations d’abus sexuels qui visaient le religieux, conclut la firme King International Advisory Group (KIAG) dans son rapport.

La firme de Toronto indique que seules trois victimes du père Lajoie ont pu être « identifiées », et que seules deux d’entre elles ont accepté de rencontrer les enquêteurs, alors qu’une vingtaine de personnes avaient apparemment dénoncé le père Lajoie dans des cercles de soutien de Kahnawake.

Un rapport trompeur

Le groupe qui réclame l’exhumation des restes du père Lajoie reçoit ce rapport comme une « claque en plein visage ».

Jointe au téléphone, sa porte-parole Mélissa Montour-Lazare parle d’un rapport « trompeur ».

Mais les auteurs, eux, sont catégoriques : « Aucune de ces victimes additionnelles n’est venue vers nous, pas plus qu’elles n’ont pu être identifiées, si elles existent », affirme le rapport.

Les deux seules personnes interrogées n’ont pas permis de conclure à la culpabilité du jésuite, renchérit le KIAG.

L’une d’entre elles avait 6 ans au moment des faits allégués. Parce qu’elle a subi « des abus émotionnels et physiques tout au long de sa vie », les enquêteurs ont estimé que ses souvenirs d’enfance pourraient être sujets à « divers degrés de confabulation ».

Ils ajoutent, « sans pouvoir partager publiquement » leurs raisons, que les allégations de cette victime « ne peuvent être justifiées ».

L’autre témoin aurait été agressé entre 8 et 11 ans, dans la Mission Saint-François-Xavier. La KIAG reconnaît qu’une agression « sérieuse » a eu lieu « à une occasion » dans l’église, mais soutient que le père Lajoie n’était pas le prédateur.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La tombe du père jésuite Léon Lajoie, à Kahnawake

Le rapport n’identifie pas le véritable coupable. La victime a identifié le père Lajoie « pour des raisons inconnues pendant notre enquête et basées sur la prépondérance des probabilités », indique le document de six pages, qualifié de « détaillé » par l’agence de Toronto.

Mme Montour-Lazare se dit quant à elle peu surprise qu’une majorité de victimes se soient abstenues, puisque les témoignages étaient faits de façon volontaire.

« Ce n’est pas facile pour des victimes d’abus sexuels de se manifester, même quand c’est pour une bonne raison », dit-elle. Faute d’avocats, elle suggère que certaines de ces personnes ont préféré garder le silence, même s’il ne s’agissait pas d’une enquête criminelle.

Comme un martyr

Réagissant par communiqué au rapport de la KIAG, les Jésuites du Canada se sont dits « reconnaissants du travail effectué par l’enquêteur indépendant ».

Mme Montour-Lazare dénonce pour sa part la mauvaise foi de ce rapport qui essaie de « transformer le mal en bien » et se désole que le père Lajoie y soit représenté « comme un martyr ».

Ils ne vont jamais admettre leurs erreurs et accepter que les personnes affectées soient en quête de justice.

Mélissa Montour-Lazare, porte-parole du groupe de femmes réclamant l’exhumation du père Lajoie

Suite de l’histoire vendredi et samedi, alors que les résidants de Kahnawake devront se prononcer en votant sur l’exhumation du prêtre, dont les restes pourraient être transférés au cimetière des Jésuites à Saint-Jérôme.

Peu de chances, conclut Mme Montour-Lazare, en expliquant que les Mohawks traditionalistes de la réserve, qui pourraient faire pencher le vote en faveur d’une exhumation, n’ont pas l’habitude de voter.

« À moins qu’ils ne fassent exception pour cette seule fois », lance Mme Montour-Lazare, en insistant sur l’importance du dossier.

La consultation pourrait donc se résumer aux catholiques, qui plaident pour le maintien de la tombe du père Lajoie dans la réserve.

Lisez l'article « Faut-il exhumer le père Lajoie ? »