Que fait et où s’en va donc la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en matière de lutte contre le crime organisé au Québec ?

Ce sont des questions que se posent des policiers actifs et retraités de la police fédérale qui se sont entretenus avec La Presse ces derniers temps.

Autrefois une référence et un chef de file en matière de lutte contre la mafia, la Division C – nom donné à la division de la GRC au Québec – n’est plus que l’ombre d’elle-même, déplore-t-on.

Les enquêteurs de l’Unité mixte d’enquête contre le crime organisé (UMECO) ont bien mené quelques projets réussis contre des trafiquants de fentanyl ces dernières années, mais la dernière grande enquête connue de la Division C contre les organisations criminelles établies a été menée entre 2016 et 2019 et a visé des recycleurs de produits de la criminalité dont les présumées têtes dirigeantes étaient établies à Toronto. Cette enquête, baptisée Collecteur, connaît actuellement une divulgation de la preuve difficile devant les tribunaux.

En 2014, les enquêteurs de la GRC ont bien truffé le bureau de l’ancien criminaliste Loris Cavaliere de micros et de caméra, mais ils agissaient en assistance à la Sûreté du Québec, qui effectuait alors l’enquête Magot-Mastiff qui a décapité le crime organisé montréalais un an plus tard.

Il faut reculer de 10 ans pour retrouver le dernier grand projet de la GRC au Québec contre des membres influents de la mafia montréalaise. Ce projet, baptisé Clemenza et effectué par l’UMECO, aurait pu obtenir des résultats encore plus retentissants que l’opération Colisée, mais il a été éventé par le meurtre de l’aspirant-parrain Salvatore Montagna, car les suspects ont su que la police fédérale interceptait leurs communications et qu’ils faisaient l’objet d’une enquête.

Plus tard, devant les tribunaux, les requêtes de la défense ont fait le reste et tous les accusés, une quarantaine en tout, ont obtenu un arrêt du processus judiciaire, parce que la poursuite a refusé de dévoiler la technique d’interception des communications.

Le dernier véritable succès de la police fédérale contre la mafia au Québec remonte donc à Colisée, en 2006.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Nicolo Rizzuto, lors de son arrestation dans le cadre de l’opération Colisée, le matin du 22 novembre 2006

Le 22 novembre de cette année-là, les enquêteurs de l’UMECO ont arrêté 90 personnes et guillotiné le clan Rizzuto dans ce qui est encore aujourd’hui la plus importante rafle antimafia de l’histoire du Canada.

« À la Division C, on parle encore de Colisée. C’est ça, le problème, ça date d’il y a 15 ans », s’est désolée une source toujours active à la police fédérale.

Autre constatation : les grands projets sur des importateurs de drogue, que les enquêteurs effectuaient régulièrement avec succès durant les années 1990 et 2000, sont rares aujourd’hui.

Plusieurs facteurs

Il y a sûrement d’autres enquêtes contre le crime organisé réalisées par l’UMECO de la Division C depuis Collecteur en 2017, mais elles n’ont visiblement pas (encore) débouché.

On entend dire que les enquêtes « aboutissent rarement », et une chose est certaine, cela nuit à la motivation des troupes.

Nos sources ciblent plusieurs facteurs : une structure et une bureaucratie lourdes, des gens compétents assis dans les mauvaises chaises, d’autres qui pensent davantage à leur carrière, une expertise amoindrie avec la retraite de plusieurs enquêteurs chevronnés, des superviseurs et des enquêteurs inexpérimentés, peu d’investissement dans les technologies, des formations rares ou inexistantes en matière de lutte contre le crime organisé comparativement aux ateliers sur le harcèlement, le profilage, la santé mentale et autres qui, eux, sont tenus régulièrement, des sources criminelles de haut niveau moins nombreuses, une certaine autosatisfaction dans un rôle d’assistance aux corps de police américains ou à la Sûreté du Québec, et on en passe.

« Le crime organisé s’est adapté, mais pas nous. La Division C serait en mesure de mener des projets d’envergure avec des impacts à long terme, mais l’ambition d’antan n’est plus là », nous a confié une autre source.

Pourtant, ce n’est pas l’envie d’en découdre qui manque chez les enquêteurs de la GRC. Les connaissances non plus. La police fédérale en connaît un bon bout sur les groupes criminels, comme l’ont démontré avec passion et ouverture ses deux employés rencontrés par La Presse pour le portrait du crime organisé montréalais publié lundi.

Un mystérieux déplacement

Comme si cela n’était pas assez, il y a environ trois semaines, le grand patron des enquêtes de la Division C a été affecté à « une enquête spéciale » à Ottawa sans que ce déplacement, aussi soudain qu’inattendu, ait été officiellement annoncé et expliqué aux employés. Selon nos informations, on aurait même retiré à ce haut dirigeant son véhicule de service et d’autres privilèges.

Son remplaçant aura du pain sur la planche pour remonter le moral et rallier les troupes.

Mais l’occasion est peut-être belle.

La Division C, c’est un budget d’approximativement 180 millions par année pour 900 policiers, dont aucun patrouilleur.

C’est environ le cinquième du budget de la Sûreté du Québec, qui compte toutefois plus de 3500 patrouilleurs et policiers en uniforme dans plusieurs services spécialisés.

La Division C, qui a déjà été et qui devrait encore aujourd’hui être une référence dans la lutte contre le crime organisé, ne fait pas trop de vagues et semble vouloir passer entre le mur et la peinture depuis plusieurs années.

Les contribuables canadiens et québécois ont le droit de s’attendre à ce que l’argent qu’ils versent pour lutter contre les groupes criminels soit bien dépensé.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.