Des femmes autochtones de Val-d’Or, représentées par le Centre d’amitié autochtone de la même ville, ont déposé mardi matin une demande d’action collective contre le gouvernement du Québec, à titre d’employeur des policiers de la Sûreté du Québec, dont elles disent avoir été les victimes pendant des années.

« Durant une période s’échelonnant sur plusieurs décennies, des agents de la Sûreté du Québec se sont livrés à des exactions sur plusieurs citoyens autochtones résidant sur le territoire présentement désigné comme la MRC de la Vallée-de-l’Or », précise la demande d’action collective, pilotée par le cabinet Trudel, Johnston et Lespérance.

La victime A. est la plaignante qui porte l’action collective aux côtés d’Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Originaire de la communauté de Lac-Simon, A. dit avoir été agressée sexuellement à l’automne 1978 par le chef de police de Senneterre, qui l’avait harcelée à plusieurs reprises pour obtenir des faveurs sexuelles.

Ces agressions, souligne la demande d’action collective, « ont eu de graves conséquences » sur sa vie. Elle a consommé des drogues, et, se percevant désormais comme une victime, a été l’objet de nouvelles agressions. Elle a fini par quitter la région. « C’est seulement cette année, 40 ans après les faits, qu’elle a osé revenir s’installer dans sa région natale. »

Pour Mme Cloutier, cette demande d’action collective, « c’est une démarche de vérité, de justice, de réparation et finalement de guérison ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or

« Quand on se réunit, c’est la force du collectif, dit-elle. C’est ensemble que les femmes ont dénoncé, c’est ensemble qu’elles ont partagé les souffrances. Et aujourd’hui, c’est ensemble qu’elles se préparent à porter cette action collective à travers le Centre d’amitié autochtone. »

Les victimes estiment avoir été « ciblées et harcelées » en raison de la précarité dans laquelle elles vivaient et disent avoir subi des agressions physiques et sexuelles, de la séquestration, des arrestations injustifiées et brutales et du harcèlement. L’avocat Jean-Marc Lacourcière, qui représente les plaignantes, estime qu’il y en a, au bas mot, « plusieurs dizaines ».

« Des agents de la Sûreté du Québec travaillant sur le territoire de la MRC de la Vallée-de-l’Or ont agi en toute impunité et avec un mépris absolu des droits des membres les plus vulnérables de la communauté, en particulier les personnes autochtones, affirme la demande. Les actions de ces agents étaient racistes, criminelles et déshumanisaient les personnes qu’ils étaient censés servir et protéger. »

En 2015, 31 plaintes criminelles avaient été déposées contre des policiers de la SQ. Seules deux d’entre elles avaient été retenues, et elles ne concernaient pas les policiers de Val-d’Or. Toutefois, au moment d’annoncer sa décision, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avait pris soin de préciser que cela ne signifiait pas que les évènements n’étaient pas véridiques.

Après cela, « il y avait un sentiment que justice n’avait pas été rendue », résume Édith Cloutier. « L’action collective va permettre une plus grande recherche de la vérité… et forcer le changement. »

Pour MLacourcière, la justice civile pourrait permettre à ces femmes d’obtenir compensation. Le fardeau de la preuve est moins exigeant au civil, souligne-t-il. Il n’y a pas nécessité d’identifier les policiers impliqués avec une précision absolue, et on peut également contraindre des agresseurs présumés à témoigner.

« Cures géographiques »

Cette demande d’action collective est le plus récent développement d’une histoire qui commence en 2015, avec un reportage de l’émission Enquête. Dans le reportage, trois femmes témoignent anonymement avoir été agressées sexuellement ou avoir recueilli des témoignages de victimes.

Elles disent aussi avoir été victimes de « cures géographiques » : sous prétexte de les faire dégriser, on les déposait hors de la ville, parfois en plein hiver, et elles devaient y retourner à pied.

Un autre reportage, diffusé en 2016, relatait deux autres témoignages. Une inspectrice au ministère de la Sécurité publique y confirmait également la pratique des « cures géographiques ». Devant la commission Viens, qui a enquêté sur les relations entre les Autochtones et certains services du gouvernement du Québec, d’autres témoignages sont d’ailleurs venus s’ajouter à ceux recueillis par les journalistes.

En 2016, 48 agents de la SQ ont intenté une poursuite en diffamation contre Radio-Canada en lien avec ces reportages. La cause est toujours devant les tribunaux.

Après la diffusion des reportages, les policiers de la Sûreté du Québec se sont également engagés dans « une campagne de déni et d’intimidation », déplore l’action collective, notamment en portant un bracelet en signe de solidarité avec les policiers mis en cause. Cette nouvelle demande de recours judiciaire risque-t-elle de provoquer un autre débat déchirant à Val-d’Or ? « On en a parlé avec les femmes, dit Édith Cloutier. Mais la motivation d’une justice est plus grande que la peur des répercussions. »