Deux Québécois piégés par un agent d’infiltration américain dans un hôtel de Montréal seront extradés aux États-Unis pour être jugés dans une affaire digne d’un film d’espionnage. Guy Deland et Charan Singh sont accusés d’avoir participé à un complot international de trafic d’armes à feu à partir de l’État de New York et du Québec.

Le juge Michel Pennou, de la Cour supérieure du Québec, a autorisé la semaine dernière l’extradition des deux hommes vers les États-Unis, plus de quatre ans après leur arrestation. Cependant, l’affaire n’est pas terminée, puisque l’un des accusés entend porter le jugement en appel. Tout le processus avait d’ailleurs été repris l’an dernier à la suite d’une décision de la Cour d’appel du Québec annulant l’ordonnance d’extradition.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Charan Singh au palais de justice de Montréal en juillet 2021

Selon les autorités américaines, Guy Deland et Charan Singh ont tenté d’exporter illégalement aux Émirats arabes unis et en Colombie des dizaines d’armes à feu, dont des mitraillettes Uzi, des pistolets semi-automatiques Glock et des milliers de munitions en 2016 et en 2017. Ils doivent ainsi être jugés dans l’État de New York, à l’instar de leur complice présumé, le Canadien Aydan Sin, condamné à 46 mois de prison, le 5 octobre dernier.

Les trois hommes sont tombés dans un piège habilement tendu par le département de la Sécurité intérieure américaine (Homeland Security). L’agence avait en effet créé une entreprise fictive spécialisée dans la vente et l’importation d’armes contrôlées à Buffalo, dans l’État de New York, pour pincer les trafiquants.

Charan Singh aurait ainsi contacté l’entreprise fictive pour obtenir des renseignements sur la façon d’acquérir et d’exporter des armes contrôlées vers Dubaï, aux Émirats arabes unis. Or, son interlocuteur était un agent d’infiltration américain. Le Québécois lui aurait d’ailleurs demandé à plusieurs reprises s’il était possible de faire la transaction sans les permis nécessaires.

L’agent d’infiltration lui aurait réclamé environ 100 000 $ US pour la commande d’armes contrôlées à exporter. Selon les autorités américaines, Charan Singh aurait alors insisté pour payer 26 000 $ US en « frais de service » pour agir « de la mauvaise façon [the wrong way] ». En février 2017, Guy Deland aurait transféré 70 000 $ US, la moitié de la somme convenue, dans un compte bancaire de l’agent pour conclure la transaction.

Un mois après le paiement, en mars 2017, l’agent d’infiltration aurait ensuite utilisé de véritables numéros de suivi de transport maritime pour confirmer à Guy Deland et Aydan Sin que les armes à feu et les munitions étaient en route vers les Émirats arabes unis. Un transport, également fictif, pour la Colombie était prévu la semaine suivante, aux dires de l’agent.

Une rencontre sous la loupe

Une rencontre cruciale entre l’agent d’infiltration et Guy Deland à l’hôtel Sheraton de Montréal, en décembre 2016, est au cœur de ce dossier. En effet, la défense réclamait l’arrêt du processus d’extradition en plaidant que l’agent américain avait agi illégalement en planifiant la vente d’armes à feu au Canada.

Pendant cette rencontre, l’agent et Guy Deland auraient discuté des détails de l’achat et de l’exportation des armes à feu, de même que des méthodes de paiement.

Toutefois, selon le juge Pennou, l’agent américain n’a commis aucun crime au Canada, comme il a agi sous l’autorité de la Gendarmerie royale du Canada.

Les avocats des Québécois demandaient également l’arrêt du processus en raison du refus des autorités américaines de respecter l’ordonnance de divulgation de preuve de la Cour d’appel du Québec visant les autorisations qui ont permis à l’agent américain de recueillir de la preuve au Canada.

Essentiellement, le juge Pennou convient que les États-Unis n’ont pas tout à fait respecté l’ordonnance dans le délai initial, mais ajoute qu’ils n’ont pas agi de « mauvaise foi » dans ce dossier. Ainsi, l’arrêt du processus judiciaire viendrait « miner l’intégrité du système judiciaire », conclut le juge.

MMarie-Hélène Giroux, qui défend Guy Deland, prévoit faire appel du jugement. Présentement détenu, son client devrait d’ailleurs être libéré vendredi. MLouis-Nicholas Coupal-Schmidt défend Charan Singh. MFrédéric Hivon et MSarom Bahk représentent le ministère de la Justice du Canada.

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Nombre de personnes extradées vers les États-Unis entre 2008 et 2018. Source : ministère de la Justice du Canada

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Nombre de mitraillettes Uzi que les accusés voulaient exporter vers la Colombie

Source : département de la Justice de l’État de New York