(Québec) L’avocate en droit de la famille Anne-France Goldwater revient à la charge au sujet des protections accordées au Québec aux conjoints de fait. Son objectif : que ces unions, qu’elles aient ou non des enfants, bénéficient des mêmes droits que les couples mariés.

MGoldwater conteste « l’absence de cadre juridique entre conjoints de fait pendant leur union et lors d’une séparation » dans le cadre d’une cause entendue par la Cour supérieure concernant la séparation d’un couple non marié, désigné comme « Nathalie » et « Pierre ». Ces derniers ont eu quatre enfants au cours d’une vie commune de près de 30 ans.

Dans un avis d’intention déposé en Cour supérieure lundi, le cabinet Goldwater Dubé a avisé le Procureur général du Québec que « la demanderesse a l’intention de contester la constitutionnalité [d’articles] du Code civil du Québec restreignant aux conjoints mariés et unis civilement l’application des règles au sujet de la résidence familiale, des charges de la famille, du patrimoine familial, de la société d’acquêts, de la prestation compensatoire et de l’obligation alimentaire entre époux ».

L’avis ajoute que « dans le cadre de son dossier contre le défendeur, son ancien conjoint de fait, la demanderesse a l’intention de contester la constitutionnalité de l’article 47 de la Charte des droits et libertés de la personne qui ne protège pas l’égalité entre les conjoints de fait contrairement aux conjoints mariés et unis civilement ».

« Il est inacceptable, font valoir MAnne-France Goldwater et MMarie-Hélène Dubé, que les conjoints de fait au Québec soient privés des droits accordés à tous les autres couples mariés au Canada », a indiqué le cabinet Goldwater Dubé par voie de communiqué mardi.

Une cause qui rappelle Éric contre Lola

En janvier 2013, dans la cause Éric contre Lola, la Cour suprême du Canada avait statué dans un jugement serré que l’exclusion des conjoints de fait du partage du patrimoine familial ou des obligations relatives aux pensions alimentaires au moment d’une séparation respectait la Charte des droits et libertés. MGoldwater, dont le cabinet avait représenté Lola jusqu’en Cour d’appel, juge qu’« on a attendu assez longtemps [depuis le jugement] pour donner la chance au gouvernement de changer ses lois ».

« Pour le Québec, [cet enjeu] est une patate chaude. Les gouvernements ont peur de toucher à ça, et en voilà la preuve. Ça fait près d’une décennie depuis l’arrêt Éric contre Lola » et rien n’a été fait, a affirmé l’avocate à La Presse.

Dans son communiqué, le cabinet Goldwater Dubé écrit qu’on « croit souvent à tort que les deux personnes dans un couple sont égales aux yeux de la loi et dans le système juridique du Québec lors d’une séparation. »

C’est faux. En ce qui a trait aux conjoints de fait, la femme est extrêmement désavantagée par rapport à une femme mariée et ne bénéficie pas d’un traitement égalitaire.

Le cabinet Goldwater Dubé

« Une des missions dans lesquelles Goldwater Dubé est engagé depuis 15 ans est de corriger cette inégalité. [Les] contributions que font les femmes au service de leurs familles [vont] bien au-delà de l’acte d’avoir des enfants. Les gains faits par un ménage en tant qu’unité familiale doivent être divisés de façon plus équitable lorsqu’un couple met fin à son union, afin de refléter avec respect et dignité les contributions des deux conjoints à leur union », peut-on lire.

Droits des enfants

Le cabinet d’avocats en droit de la famille rappelle aussi que « la majorité des enfants au Québec sont nés de parents qui ne sont pas mariés légalement. »

« Autrement dit, ils sont conjoints de fait. Il est donc inacceptable qu’un nombre limité de familles puisse bénéficier des pensions alimentaires, du patrimoine familial et de la société d’acquêts, qui visent à protéger les membres les plus vulnérables dans nos familles », est-il écrit dans le communiqué.

« Toutes les mères et leurs enfants méritent les mêmes droits devant la Cour et le même niveau de soutien afin de couvrir leurs besoins de base, ajoute MGoldwater. Nous exhortons le gouvernement du Québec de faire le bon choix, et de mettre fin à ce débat d’un trait de plume, sans créer plus de bureaucratie ni de nouvelles inégalités. »

« Pourquoi ne pas adopter la solution la plus simple ? Un couple qui cohabite en conjugalité depuis trois ans ou qui a un enfant devrait avoir le même statut qu’un couple marié. Et voilà ! Ce serait fait ! », plaide à nouveau l’avocate.

Une réforme attendue

Le gouvernement Legault a promis de déposer au cours du présent mandat une réforme du droit de la famille, qui n’a pas été revu depuis le début des années 1980. « La réforme du droit familial fait partie de nos priorités. Le travail se poursuit », affirmait récemment le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, à La Presse.

Après le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Éric contre Lola, le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait mis en place un Comité consultatif sur le droit de la famille, présidé par MAlain Roy. Son rapport, publié en 2015, concluait déjà « à l’urgence de réformer le droit québécois au profit de toutes les familles, qu’elles soient ou non unies par les liens du mariage ou de l’union civile », rappelait MRoy en avril dernier dans une lettre ouverte publiée dans La Presse.

La Loi sur le divorce, de compétence fédérale, a également connu d’importants changements lundi. Ces modifications ont pour objectif de combattre la violence conjugale et à promouvoir l’intérêt de l’enfant, entre autres. Or, cette loi ne s’applique pas aux couples non mariés, c’est-à-dire aux conjoints de fait. Des regroupements pressent Québec de déposer sa réforme du droit de la famille.

« Ce qui est paradoxal au Québec, c’est que même si nous sommes les champions de l’union libre, c’est ici qu’il y a le moins d’encadrement. Toutes les autres provinces au Canada ont un encadrement pour les conjoints de fait. C’est juste au Québec qu’il n’y en a pas », déplorait mardi dans La Presse Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec.