(Ottawa) Les lois semblent inefficaces pour lutter contre la pornographie diffusée sur des sites internet.

Des entreprises comme MindGeek, qui possède Pornhub et de nombreux autres sites comme YouPorn et RedTube, prospèrent depuis des années malgré les lois contre la pornographie juvénile et le contenu sexuellement abusif.

Comparaissant lundi devant le comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes, la directrice générale du Centre canadien de protection de l’enfance, Lianna MacDonald, a rappelé qu’une nouvelle réglementation se fait attendre depuis longtemps.

Les sites internet sont actuellement libres de déterminer leurs propres politiques de modération de contenu ainsi que de signalement, laissant les victimes à leur merci. En même temps, il n’existe aucun organisme pour traiter les plaintes ou faire respecter les normes.

« Nous n’avons jamais eu plus besoin d’une intervention du gouvernement qu’aujourd’hui », a déclaré Mme McDonald.

Le comité doit présenter au cours de l’année des recommandations sur la confidentialité et le consentement en ligne.

Des intervenants signalent que les lois actuellement en place ne sont pas assez puissantes pour lutter contre un fléau mondial. La législation est entravée par des ressources limitées et des barrières juridictionnelles.

Daniel Berhard, le directeur général des Amis de la radiodiffusion est l’un de ceux qui se demandent si une nouvelle loi rappelant que la diffusion de contenu montrant des agressions sexuelles sur des enfants est illégale est vraiment nécessaire.

« Le problème n’est pas que ce n’est pas réglementé. Le problème est que la loi n’est pas appliquée », résume-t-il.

Des zones grises

Il existe de nombreuses zones grises dans l’application de la loi.

Aucune réglementation n’exige explicitement que les sites filtrent leur contenu, que ce soit par l’entreprise d’algorithmes ou de modérateurs humains. Rien ne les oblige non plus de vérifier l’âge et le consentement des participants des vidéos.

La publication non consensuelle d’une image intime est interdite par le Code criminel, mais certains s’interrogent sur la signification de « quiconque sciemment […] distribue… »

« Il y a des lacunes comme celle-là qui doivent être comblées. On ne veut pas d’une situation où l’entreprise prétexte du fait qu’elle ne surveille pas pour dire qu’elle ne peut pas savoir », déclare Lloyd Richard, le directeur informatique au Centre canadien de protection de l’enfance.

En décembre, une plateforme torontoise appelée YesUp Media est devenue la première société au Canada à être reconnue coupable d’avoir enfreint la loi fédérale vieille de 10 ans obligeant les entreprises à signaler la pornographie juvénile en ligne si elles apprennent que leur site est utilisé pour y accéder.

Cette condamnation est surtout venue souligner l’absence de poursuites contre un acte criminel omniprésent en ligne. La GRC a reçu 215 000 plaintes d’exploitation sexuelle d’enfants en ligne depuis 2018.

YesUp, qui avait été averti des centaines de fois qu’un client établi au Vietnam hébergeait des quantités massives de pornographie juvénile, encourt une amende de seulement 100 000 $ et une probation. Quatre hommes affiliés à la société qui ont été inculpés au pénal ont été condamnés à une amende de seulement 1000 $ dans le cadre d’un accord de plaidoyer.

L’effet de dissuasion sur les géants du porno doit être minime. Une telle amende ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan de profits pour MindGeek, dont la filiale Pornhub est souvent classée les sites internet les plus visités au monde, devant Netflix, Yahoo ou Zoom.

Un problème international

Autres maux de tête pour les forces de l’ordre : la pornographie en ligne ne tient pas compte des frontières.

« Comme de nombreuses formes de cybercriminalité, l’exploitation sexuelle des enfants en ligne est souvent multijuridictionnelle et multinationale, ce qui crée de nombreuses complexités pour les forces de l’ordre », souligne la GRC dans un courriel.

MindGeek est établie à Montréal, mais l’entreprise est présente dans le monde entier. À cause de cela, il est difficile de déterminer qui peut enquêter sur ses activités, car elle héberge du contenu à l’extérieur du pays, explique la caporale Caroline Duval, de la GRC.

Des normes internationales et une coopération sont nécessaires pour lutter contre la distribution illégale en ligne, dit Kate Isaacs, fondatrice de Not Your Porn, un groupe établi au Royaume-Uni, qui milite contre l’utilisation d’images sexuelles publiées sans consentement.

Mme Isaacs réclame des règles exigeant que les entreprises maintiennent un personnel formé pour effectuer la modération et la suppression de contenu « à grande échelle », et conserver des registres détaillés des utilisateurs.

« On peut observer parfois des enfants aussi jeunes que 3 ans. Et c’est une de ces choses qu’on ne veut pas voir. »

Pornhub rejette les accusations selon lesquelles elle autorise des contenus d’abus sexuels sur des enfants sur son site. Le site dit avoir effacé quelque 10 millions de vidéos publiées par des utilisateurs non vérifiés en décembre, mais seulement après que Visa et Mastercard eurent interrompu les services de paiement.

« Toute affirmation voulant que nous autorisions (cela) est irresponsable et manifestement fausse, avait déclaré l’entreprise en décembre. Nous avons une tolérance zéro pour les contenus d’agressions sexuelles envers des enfants. »

Elle disait aussi avoir recours à de nombreuses mesures pour empêcher la diffusion de tels contenus sur sa plateforme, notamment « une vaste équipe » de modérateurs humains pour examiner individuellement chaque téléchargement et supprimer le matériel illégal, ainsi que des technologies de détection automatisée.