La poursuite demande quatre ans de pénitencier et la défense suggère deux ans pour Jeff Jorgensen, l’ancien président de la Grande Roue de Montréal impliqué dans une spectaculaire tentative d’extorsion à l’échelle internationale.

Le sort de Jorgensen, 47 ans, est maintenant entre les mains de la juge Mélanie Hébert de la Cour du Québec, qui rendra sa décision à la mi-février.

Jeff Jorgensen a été arrêté en 2019 et a plaidé coupable à un chef d’extorsion l’an dernier.

Selon la preuve présentée, il se serait fait passer pour un certain Vladimir Petrov et aurait tenté d’arracher, par la menace, à un riche homme d’affaires d’un autre continent dont on doit taire l’identité en vertu d’un interdit de publication, une somme de 2,5 millions à verser sous forme de cryptomonnaie.

Jorgensen a menacé l’homme d’affaires d’envoyer des photos intimes sexuellement explicites de ce dernier, de sa conjointe et d’autres membres de sa famille, à des concurrents, des hôteliers réputés et à des dignitaires, et de les diffuser sur les réseaux sociaux et sur un site internet. Il a mis sa menace à exécution et a fait circuler certaines images compromettantes.

La Presse a raconté l’affaire en détail en janvier dernier.

Épée de Damoclès

Dans sa plaidoirie sur la peine livrée mardi, le procureur de la poursuite, MLuc Pagé, a considéré, en tant que facteurs aggravants, la durée de l’infraction – trois mois –, le nombre de personnes visées, le degré de préméditation, le nombre de messages envoyés à la victime et leur ton agressif, le fait que la victime a dû se déplacer sur un autre continent pour rencontrer Jorgensen, l’importante somme exigée, la motivation (l’appât du gain) et les répercussions pour la victime et sa famille.

Dans une déclaration dictée à un avocat montréalais, l’homme d’affaires a déclaré que lui et sa famille sont dans un état de choc et ressentent de la peur encore aujourd’hui. Il a ajouté que son père voit un psychologue, que les impacts sur la vie professionnelle de sa femme ont été énormes et que la famille vit dans le stress, l’anxiété et la peur constante que l’extorsion reprenne.

« C’est comme si cette famille avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête », a expliqué MPagé.

Ce dernier a également soulevé certains passages d’un rapport présentenciel dévastateur qui fait état d’un manque de remords et d’introspection de la part de Jorgensen.

« Il n’y a pas de perspective de réhabilitation. Je lis presque que pour l’accusé, si c’était à recommencer, il le ferait. »

« Les critères de dissuasion doivent être priorisés. Il faut envoyer un message clair que le jeu n’en vaut pas la chandelle en cette ère de réseaux sociaux », a dit MPagé, au sujet de la peine de quatre ans de pénitencier que la poursuite réclame.

Manque de jugement

De son côté, l’avocat de Jeff Jorgensen, MPierre L’Écuyer, a souligné que son client n’a pas d’antécédent criminel, qu’il respecte ses conditions depuis 18 mois, qu’il a plaidé coupable, évitant ainsi la tenue d’un procès, que le fait d’être président de la Grande Roue de Montréal était « le projet d’une vie » et qu’il a tout perdu, les concepteurs néerlandais de l’attraction ayant chassé la famille Jorgensen en raison de la mauvaise publicité et étant devenus les propriétaires du manège montréalais en décembre 2019.

Au sujet du rapport présentenciel rédigé par un agent de libération, M. L’Écuyer a dit que c’était le pire qu’il avait vu dans toute sa carrière et expliqué certains comportements de son client par le fait qu’il voulait protéger quelqu’un.

« Me Pagé parle souvent d’un complice, un certain Bro1, qui n’a pas été arrêté », a-t-il dit.

Le criminaliste a souligné le fait que les images intimes se trouvaient sur un disque dur que la victime s’est fait voler il y a cinq ans – vol dans lequel Jeff Jorgensen n’a rien à voir – et que le stress et l’anxiété vécus par la famille datent de ce moment.

Il a ajouté qu’il n’y a aucune preuve de préjudice financier et que son client n’a pas mis la main « sur un centime » dans cette affaire digne de « James Bond ».

« Un criminel d’expérience n’aurait pas gardé des pièces incriminantes chez lui. Mon client a mené une vie exemplaire durant 46 ans, mais a manqué de jugement durant deux mois. Il a essayé une extorsion de façon assez juvénile et s’est fait manipuler », a conclu Me L’Écuyer.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.