Le cas de la fillette de 6 ans poignardée en juillet dans l’est de Montréal – dont la mère, accusée de meurtre non prémédité, avait fait l’objet de signalements – illustre la nécessité d’investir davantage « avant la DPJ » afin de doter le réseau d’intervenants compétents.

C’est du moins ce que souligne la vice-présidente jeunesse à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), Suzanne Arpin. « La DPJ n’est pas une panacée, tranche-t-elle. Ça prend plus d’interventions avant d’y arriver. On doit fournir plus de moyens à la petite enfance. Je pense à des éducateurs en CPE qui comprennent bien le concept de protection, et à des infirmières auxiliaires formées pour détecter les formes précoces de maltraitance. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Suzanne Arpin, vice-présidente jeunesse à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Selon les accusations, la mère aurait poignardé à mort sa propre enfant de 6 ans, le 23 juillet. Les policiers sont intervenus en pleine nuit dans leur appartement d’Hochelaga. Ils ont trouvé la jeune victime gravement blessée et sa mère en état de choc. D’abord considérée comme un témoin, cette dernière est ensuite devenue la principale suspecte, avant d’être formellement accusée.

Jeudi dernier, La Presse révélait que les proches de l’accusée étaient très préoccupés par ses problèmes de consommation de drogue. « Je m’inquiétais pour ma petite-fille. […] Consommation excessive, c’était assez pour enlever un enfant au plus vite de là », a confié la mère de l’accusée, dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication. Elle dit avoir fait un signalement officiel au mois d’avril. Malgré tout, la fillette n’a pas été soustraite à son milieu familial.

Un système à refaire

Pour Mme Arpin, il est troublant que le cas n’ait pas fait l’objet d’interventions de fond, surtout quand on sait que l’autre fille de l’accusée ne vivait plus avec elle, ayant demandé un placement en foyer d’accueil trois mois plus tôt. « Comment peut-on ne pas regarder le cas de sa petite sœur, qui vivait au même endroit ? », dénonce-t-elle.

L’avocate de profession dit avoir trop souvent constaté les faiblesses du système au cours de sa carrière.

Je ne compte plus les fois où des éducateurs me disaient qu’ils n’avaient pas les moyens de répondre aux services, et donc qu’ils l’avaient signalé. C’est aussi leur mandat de trouver des ressources. Lancer ça dans la cour de la DPJ ne règle pas toujours la situation, bien au contraire.

Suzanne Arpin, vice-présidente jeunesse à la CDPDJ

« C’est un film qu’on a trop vu, poursuit Mme Arpin. La DPJ doit être le bout du tunnel. Avant, ça prend une première ligne beaucoup plus solide. »

Le cas de la fillette de 6 ans n’est que la pointe de l’iceberg au Québec, rappelle la gestionnaire. « Des dossiers d’enfants assassinés ou qui se sont suicidés, on en voit malheureusement plusieurs par année. En décembre, au comité des enquêtes, on avait deux décès et trois suicides dans la même réunion. C’est beaucoup. Et souvent, ça passe sous le radar », illustre Mme Arpin.

La situation est-elle « banalisée » ?

Ces points de vue amènent la CDPDJ à faire un constat pour le moins préoccupant sur la protection des enfants au Québec. « On banalise ça un peu, dit sa vice-présidente jeunesse. On devrait pourtant être outrés chaque fois qu’un enfant est assassiné alors qu’il est en attente d’évaluation. »

Mais de plus en plus, la population tend à minimiser les impacts, s’inquiète Suzanne Arpin.

J’ai l’impression que c’est devenu : "Ah, ce sont des enfants de la DPJ", comme s’ils avaient un stigmate, que ça devenait normal qu’ils soient maltraités ou qu’ils meurent.

Suzanne Arpin, vice-présidente jeunesse à la CDPDJ

Celle-ci déplore « une espèce de perte de la beauté de l’enfance ». « C’est comme si on ne voyait plus les enfants pour la richesse qu’ils sont dans notre société. On passe rapidement à autre chose. On ne prend pas le temps de faire une pause et de dire que c’est important, un meurtre d’enfant », ajoute la juriste.

Québec veut une « réforme en profondeur »

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, assure qu’il entend ce message. Il dit plancher sur une « réforme en profondeur de la DPJ » pour l’adapter aux « réalités de 2020 ». « La DPJ ne devrait pas être l’urgence pour tous les signalements. Au contraire, elle devrait être présente pour les cas sévères », illustre sa directrice des communications, Marie Barrette.

Celle-ci ajoute qu’il est primordial que l’intervenant de première ligne « reste dans le dossier quand il fait un signalement ». « Avant, il fermait le dossier et on devait refaire une demande », souligne-t-elle, précisant que le système doit donner la priorité aux signalements des parents « qui ont besoin de services en santé mentale, ou en toxicomanie ».

La DPJ a longtemps été négligée par les gouvernements précédents. Tout est loin d’être parfait, mais nous travaillons très fort pour en changer les paramètres.

Marie Barrette, porte-parole de Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Depuis son élection, le gouvernement Legault affirme avoir injecté plus de 150 millions dans le réseau. « Cela nous a permis d’embaucher de nombreux intervenants. Les listes d’attente ont également diminué et pratiquement disparu dans certaines régions », clame Mme Barrette.

La semaine dernière, le premier ministre François Legault a promis qu’une « enquête interne » serait menée sur la DPJ de Montréal au sujet du traitement du dossier de la fillette de 6 ans.