(Saint-Raymond et Montréal) Québec mène une « enquête interne » sur la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de Montréal au sujet du traitement du dossier de la fillette de 6 ans poignardée en juillet dans l’est de l’île. Sa mère, accusée du meurtre non prémédité de son enfant, avait déjà fait l’objet de signalements à la DPJ trois mois plus tôt.

Lors d’un point de presse, jeudi, à Saint-Raymond, dans Portneuf, le premier ministre François Legault a dit avoir appris à la lecture d’une version antérieure de ce texte publiée jeudi l’existence de signalements récents à la DPJ contre la mère. « Je suis très préoccupé », a-t-il affirmé, confirmant avoir demandé une enquête interne. « On va regarder ce qui est arrivé et [si] le signalement aurait dû amener des gestes qui n’ont pas été posés par la DPJ [de] Montréal », a ajouté le premier ministre.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal avait obtenu une ordonnance d’injonction provisoire pour empêcher la publication du texte en août, sans laisser la possibilité à La Presse de se présenter pour faire valoir ses droits. En fin de journée mercredi, la Cour supérieure a fini par rejeter la demande d’injonction interlocutoire sur laquelle nous avions pu être entendus vendredi dernier, ce qui permettait la publication de l’article.

« Ça fait partie de l’enquête qu’on fait à l’interne pour voir [ce] qui est arrivé et [ce] qu’aurait dû faire le CIUSSS », a commenté François Legault.

MAlain Roy, professeur de l’Université de Montréal spécialisé en droit de l’enfant, est outré.

« Malgré les très nombreuses révélations sur les dysfonctionnements de la DPJ, malgré les travaux en cours de la commission Laurent, malgré les drames qui se répètent et qui témoignent du manque de vigilance crasse dont certains intervenants de la DPJ ont fait preuve dans de nombreux dossiers, l’histoire se répète, encore et encore.

« Et le plus odieux, estime-t-il, c’est que ce système défaillant, qui n’est pas en mesure d’assurer la protection des enfants vulnérables, cherche à cacher les histoires d’horreur pour se protéger lui-même. Comment, dans le dossier en cause, a-t-on pu conclure que la mère ne constituait pas une menace pour l’enfant, sinon en tournant les coins rond ? Il y avait suffisamment d’indices pour que la DPJ procède au retrait de l’enfant. »

Pendant les sept mois de la commission Laurent mise en place pour voir ce qui cloche à la DPJ (dans la foulée de la mort de la fillette de Granby), de nombreux témoins ont dit combien le manque de personnel et d’expérience des intervenants posait problème et les empêchait d’aller au fond des dynamiques familiales.

Selon Delphine Collin-Vézina, directrice du Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill, ce qui est nécessaire, « c’est un changement structurel majeur pour éviter que de tels cas (affreux d’ailleurs) ne se produisent ».

Il faut donc ajouter des ressources suffisantes pour que chaque intervenant ait le temps nécessaire pour connaître les familles, que des formations approfondies soient données et que les services soient plus facilement accessibles « pour que les familles en difficulté qui ne sont pas prises en charge par la protection de la jeunesse soient tout de même accompagnées pour réduire les facteurs liés au stress toxique ».

Sans minimiser en rien le drame en cause ici, Mme Collin-Vézina regrette cependant que les centaines d’enfants sauvés par la protection de la jeunesse restent, eux, dans l’angle mort des médias.

« C’est vraiment un grand drame », a réagi de son côté le député de Québec solidaire Sol Zanetti. Cette histoire sème un doute dans son esprit, dit-il, soulignant que le ministre Lionel Carmant avait assuré que son gouvernement était parvenu à « stabiliser » les équipes de la DJP depuis le drame de Granby.

« J’ai l’impression que cet événement-là vient remettre ça en question […] Il faut qu’on ait une assurance du premier ministre que les fonds nécessaires seront là pour avoir assez d’effectifs à la DPJ », a-t-il souligné.

Le député solidaire s’inquiète par ailleurs des démarches du CIUSSS devant les tribunaux pour interdire la publication de l’article. « Quand on parle de l’omerta en santé, on centrait ça beaucoup sur les employés qui sont muselés, mais quand ce sont les administrations qui sont rendues à museler les journaux, on a un problème extrêmement important », a-t-il indiqué à La Presse.

— Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse