Après un long silence empreint d’émotion, le policier Christian Gilbert a répondu à son avocat, MLouis Belleau, qui lui demandait quel sentiment l’habitait depuis cet après-midi fatidique du 31 mars 2016 : « C’est malheureux. Ça n’aurait jamais dû arriver… C’est une catastrophe. »

Ce jour-là, Christian Gilbert, membre du Groupe tactique d’intervention (GTI) du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), a atteint mortellement Bony Jean-Pierre à la tête avec un projectile de polymère, alors que ce dernier tentait d’échapper à une frappe antidrogue effectuée dans l’arrondissement de Montréal-Nord.

Il est accusé de l’homicide involontaire de M. Jean-Pierre et son procès, qui se déroule devant le juge Yvan Poulin, de la Cour du Québec, en est à sa troisième semaine.

  • Bony Jean-Pierre

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    Bony Jean-Pierre

  • L’arme intermédiaire ARWEN 37 utilisée par Christian Gilbert

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    L’arme intermédiaire ARWEN 37 utilisée par Christian Gilbert

  • Sur le cadrage de la fenêtre, en haut à gauche, on peut apercevoir la trace de l’impact de l’un des deux projectiles tirés par Christian Gilbert.

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    Sur le cadrage de la fenêtre, en haut à gauche, on peut apercevoir la trace de l’impact de l’un des deux projectiles tirés par Christian Gilbert.

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M. Gilbert a témoigné ces deux derniers jours et raconté comment les évènements sont survenus. Un collègue et lui s’étaient barricadés derrière une voiture garée dans la rue Arthur-Chevrier et devaient s’assurer que personne ne sorte par la fenêtre et la porte-fenêtre de l’appartement numéro 3.

Il tenait une arme intermédiaire Arwen de calibre 37 qui tire des projectiles de polymère AR-1 et son compagnon avait une arme à feu longue.

La fenêtre s’ouvre

Dans les secondes qui ont suivi le coup de bélier de leurs collègues dans la porte du logement, un homme a écarté le rideau et ouvert la fenêtre « d’un coup franc ».

« Je me suis dit que l’homme ne voulait pas seulement jeter de la preuve, mais voulait fuir. J’ai tiré un premier coup de semonce près de sa main », a décrit le policier.

« J’avais aligné mon viseur à cet endroit [sur le cadrage]. J’ai vu le projectile vert fluorescent atteindre exactement l’endroit où j’ai visé avec le point rouge », a-t-il ajouté.

Mais en une seconde, l’homme était maintenant accroupi dans la fenêtre. « Ma décision était prise. Je vais tirer un deuxième coup à la hauteur de la hanche (entre le bas de la ceinture et le haut de la cuisse). Mais une puff de fumée est sortie du canon. Alors j’ai vu que l’individu était en chute libre, qu’il est tombé au sol, mais je n’ai pas vu l’impact du projectile. »

Rapidement ensuite, son collègue et lui se sont rendus auprès du blessé. « Je constate qu’il a une blessure à la tempe gauche, une ecchymose d’environ six centimètres, comme une prune rougeâtre avec, à l’intérieur, un rond de la dimension du projectile de l’Arwen. Il est inconscient et amorphe. Il ne parle pas, mais il respire », a poursuivi M. Gilbert.

Ce dernier a appelé Urgences-santé (en stat) sur les ondes. « C’est la police, on est là pour t’aider », a-t-il répété, en tenant la tête de l’homme blessé.

Une fois l’homme parti en ambulance, Christian Gilbert a répondu ceci à un collègue qui lui a demandé comment il allait : « Quand tu vises la hanche et que tu atteins la tête, ce n’est pas une bonne journée. »

« J’étais sous le choc. C’était invraisemblable. »

Viseur entretenu

Après le déclenchement officiel de l’enquête indépendante vers 22 h le soir même, M. Gilbert a été transféré à des tâches administratives et n’a jamais pris part aux opérations depuis.

« Les Arwen sont déployées pratiquement sur toutes nos opérations et les zones vertes du corps (masse musculaire) sont préconisées. Je cherchais à stopper ses actions en lui causant une dysfonction motrice », a expliqué l’accusé, ajoutant qu’avant chaque opération, il s’assure toujours que le viseur de son arme intermédiaire – ou autre – soit propre.

Il a dit n’avoir jamais été interrogé par les enquêteurs durant l’enquête indépendante de la Sûreté du Québec.

En contre-interrogatoire, le procureur de la poursuite, MJean-Sébastien Bussières, lui a toutefois fait remarquer que les rapports de tous les policiers impliqués, y compris le sien, ont été remis aux enquêteurs.

Au secours d’un membre de gang

Christian Gilbert a dit avoir pris part à « des dizaines et des dizaines d’opérations » dans le Bronx de Montréal-Nord depuis qu’il est devenu membre du GTI en 1999. « Une fois sur deux, une arme est impliquée. Les gens du secteur sont hostiles à la police depuis les émeutes de 2008, au cours desquelles une policière a été blessée par balle. Lors des interventions, il y a des attroupements, les patrouilleurs doivent faire vite. Aujourd’hui, on se fait attendre par des gens qui signalent notre arrivée avec des cloches à vache », a-t-il décrit.

Christian Gilbert a fini premier au concours du GTI en 1999. Il a raconté avoir reçu des distinctions et des médailles au cours de sa carrière, et remporté un prestigieux concours de tir.

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Daniel Topey

Lors d’une opération en 2013, il a reçu une balle à un pied. Au cours d’une autre, il a secouru un membre de gang, Daniel Topey, atteint par une balle au cou par l’un de ses collègues du GTI, alors qu’il fuyait la police. L’affaire avait été passablement médiatisée entre 2007 et 2010.

J’ai littéralement planté mon pouce dans le trou pour empêcher le sang de couler. L’homme a survécu.

Christian Gilbert, dans son témoignage

Ça ne s’invente pas : Christian Gilbert est devenu officiellement policier un vendredi 13, et sa première affectation à son arrivée à la police de Montréal a été le « district 31 », comme il dit.

« J’avais commencé des études pour devenir ingénieur au cégep. J’ai changé d’orientation à la fin de ma deuxième année. Lorsque je l’ai annoncé à ma mère, elle a pleuré. Avoir su. Aujourd’hui, je comprends pourquoi », a déclaré M. Gilbert.

D’autres témoignages 

Denis Rancourt, expert en biomécanique

L’expert en biomécanique Denis Rancourt témoigné mercredi et évalué la trajectoire balistique du projectile qui a frappé M. Jean-Pierre à 160 millisecondes. Il a évalué à 400 millisecondes le moment où la tête de la victime s’est retrouvée à la place de la hanche visée par l’accusé lors de son saut par la fenêtre. Il a enfin estimé à entre 300 et 500 millisecondes le temps pris par Gilbert pour percevoir la situation, réagir et tirer le second coup d’Arwen qui a heurté Bony Jean-Pierre à la tête.

Collègue de l’accusé, témoin de la frappe du 31 mars 2016

Un collègue de l’accusé, agent du GTI comme lui et présent lors de la frappe du 31 mars 2016, a raconté mardi que lui et d’autres agents se trouvaient à l’arrière du 6330, rue Arthur-Chevrier lorsqu’un suspect a ouvert la porte du balcon pour tenter de fuir. Mais l’un de ses compagnons a tiré un coup de semonce avec un projectile d’Arwen qui, jumelé aux détonations d’une grenade assourdissante, a convaincu l’homme d’obtempérer aux consignes des policiers, selon le témoin.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.