Une entreprise privée ne peut invoquer la protection offerte par la Charte contre les châtiments « cruels et inusités » pour contester une amende salée, a tranché la Cour suprême du Canada.

Le plus haut tribunal du pays a rendu jugement jeudi matin et règle la question : seuls les êtres humains peuvent se prévaloir de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés qui interdit à l’État d’infliger des douleurs physiques ou psychologiques par des traitements ou des peines dégradants et déshumanisants.

« Cette disposition vise à protéger la dignité humaine et à assurer le respect de la valeur inhérente de chaque personne. Les personnes censées bénéficier de cette protection sont les personnes physiques, et non pas les personnes morales », est-il écrit.

La Cour suprême annule ainsi un jugement de la Cour d’appel du Québec.

Cette dernière avait tranché, en mars 2019, qu’une entreprise pouvait être victime de « traitements ou de peines cruels et inusités », et ainsi se prévaloir de la protection accordée par l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Et quel était ce « traitement cruel » dont l’entreprise se plaignait ?

De devoir payer beaucoup d’argent, a fait valoir une compagnie à numéro qui a invoqué cet argument pour ne pas avoir à acquitter une amende d’environ 30 000 $. C’est l’amende minimale obligatoire prévue par la Loi provinciale sur le bâtiment pour une compagnie qui a agi comme entrepreneur en construction sans détenir la licence requise.

La juge Dominique Bélanger, qui écrivait au nom de la majorité de la Cour d’appel, avait souligné que des entreprises ont réussi dans le passé à bénéficier de certaines protections accordées par la Charte. Et puis, écrivait-elle, il ne faut pas ignorer les conséquences que peuvent subir certaines personnes à la suite de sanctions de nature économique : « Je ne crois pas que la société canadienne trouverait acceptable ou dans l’ordre naturel des choses, en toutes circonstances, qu’une amende totalement disproportionnée conduise une personne morale ou une organisation à la faillite, mettant ainsi en péril les droits de ses créanciers ou forçant les licenciements », poursuivait-elle.

Cette décision de la Cour d’appel avait le potentiel d’ouvrir la porte à la contestation — par des entreprises — de bon nombre de peines prévues par les lois.

La Cour suprême vient toutefois de mettre fin à ce débat.

« Le fait qu’il y ait des êtres humains derrière la personnalité morale est insuffisant pour justifier la revendication du droit garanti à l’art. 12 en faveur d’une personne morale, vu la personnalité juridique distincte de celle-ci. […] nous rejetons donc la proposition voulant que les répercussions de la faillite d’une personne morale sur ses parties prenantes doivent être prises en compte dans la détermination du champ d’application de l’art. 12 », est-il écrit dans la décision de la Cour suprême.

C’est l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) qui avait plaidé ce dossier.

Jeudi, elle disait prendre acte de la décision de la Cour suprême.

Mais le directeur du service des affaires juridiques de l’APCHQ, Me Martin Villa, a rappelé que cette cause n’est pas un cas isolé et que cette situation peut se produire à de nombreuses occasions. Un entrepreneur fait des travaux pour 500 $ et se retrouve avec une amende de 45 000 $ parce qu’il a commis une erreur, a-t-il expliqué.

La voie juridique empruntée étant maintenant épuisée, Me Villa souligne qu’il reste à l’APCHQ la possibilité de faire des représentations afin de modifier la Loi sur le bâtiment, pour que les amendes soient justes et proportionnelles, en fonction des circonstances de chaque cas.