Le propriétaire de la Grande Roue de Montréal, Jeff Jorgensen, est soupçonné d’avoir tenté d’extorquer la somme de 2,5 millions en cryptomonnaie à deux riches hommes d’affaires d’Afrique du Nord. Il aurait menacé de diffuser des images intimes de ses victimes sur les réseaux sociaux si elles ne payaient pas.

C’est ce qu’a appris La Presse auprès de diverses sources d’information.

Une ordonnance de non-publication imposée lors de la comparution de Jorgensen au palais de justice de Montréal nous interdit de nommer les victimes dans cette affaire. Celles-ci sont à la tête d’un empire commercial international avec des intérêts sur plusieurs continents.

Images sexuelles

Selon ce que nous avons pu apprendre, la victime initiale se serait fait voler son ordinateur il y a quelques années.

Dans des circonstances inconnues et pour une raison qu’on ignore, le disque dur de l’ordinateur se serait ensuite retrouvé entre les mains de tierces personnes.

Le 12 juin dernier, un premier courriel a été acheminé au propriétaire de l’ordinateur, dans lequel un individu disant s’appeler Vladimir Petrov lui annonçait être en possession d’images sexuelles explicites qui pouvaient être compromettantes pour ce dernier et un autre dirigeant de la multinationale.

L’interlocuteur a exigé une rencontre et une rançon qui devait être versée en bitcoins, sans quoi il enverrait les images à des dizaines de destinataires, dont des proches des victimes, des hôtels et des restaurants luxueux d’Afrique du Nord et des ambassades.

Le signataire du courriel, qui se serait décrit comme un expert de la préservation ou de la destruction de réputation et de style de vie, aurait prévenu que l’affaire ferait scandale dans plusieurs pays. Il se serait montré très agressif et serait revenu constamment à la charge pour menacer ses victimes de détruire leur vie en inondant les réseaux sociaux d’images sexuelles intimes.

Si tu choisis de ne pas coopérer et de ne pas verser l’argent, tu vas payer un lourd tribut. La vie ne sera plus jamais la même pour toi. Nous ferons de toi un exemple. Tu seras détruit sur les réseaux sociaux.

Vladimir Petrov

« Je peux être ton meilleur ami comme ton pire cauchemar », aurait écrit le mystérieux Vladimir Petrov. 

Enquête en France et au Québec

Mais plutôt que de céder au chantage, l’homme d’affaires et son collègue ont avisé leur avocat, qui a à son tour alerté la police française. Les autorités françaises ont communiqué avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui a par la suite avisé le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), parce que les courriels menaçants auraient été envoyés de Montréal.

Une rencontre entre le fameux Vladimir Petrov et les victimes ou leurs représentants aurait été organisée à Paris au début du mois de juillet.

Selon nos informations, Jeff Jorgensen et un individu lié à la mafia montréalaise, Steve Vogl, auraient décollé de l’aéroport Trudeau à destination de Paris, à la fin de juin, et seraient revenus à Montréal vers la fin de juillet.

Un mois plus tard, le 29 août, Jeff Jorgensen, 46 ans, a été arrêté et accusé d’extorsion et de publication non consensuelle d’une image intime. Il a été libéré en attendant la suite du processus judiciaire contre un dépôt de 5000 $. 

Le juge lui a également imposé plusieurs conditions : M. Jorgensen doit garder la paix et avoir une bonne conduite, doit résider dans son condo du Vieux-Montréal et ne doit pas communiquer avec les victimes ni être en leur présence. Il ne doit pas s’approcher des domiciles, lieux de travail et écoles des victimes et des membres de leur famille.

Il a dû remettre son passeport, mais a pu le récupérer à la mi-octobre pour pouvoir effectuer un voyage qui se terminera au début du mois de novembre, date à laquelle il devra remettre de nouveau son passeport. Il doit posséder un seul téléphone cellulaire et fournir le numéro à la police. Il ne peut ni utiliser les réseaux sociaux ni posséder d’arme.

Au moment d’écrire ces lignes, il nous a été impossible de joindre Jeff Jorgensen par l’entremise de son avocat, Me Joseph La Leggia. 

M. Jorgensen n’a aucun antécédent judiciaire mis à part cette procédure en cours. La cause a été remise au 18 novembre prochain. Steve Vogl, lui, n’a pas été accusé.

Proche de la mafia

Au début de l’année, les liens entre Jeff Jorgensen et Steve Vogl ont fait la manchette alors que le propriétaire de la Grande Roue a fait des démarches devant la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) pour obtenir un permis d’alcool dans les restaurants de cette attraction du Vieux-Montréal.

Le SPVM s’opposait à cette demande. Des enquêteurs ont expliqué que Steve Vogl serait selon eux l’un des propriétaires de la Grande Roue, ce qu’a nié Jeff Jorgensen. Les policiers ont dressé le profil de Vogl, qui a déjà été condamné à sept ans et demi de pénitencier aux États-Unis pour l’importation de 2000 lb de haschisch au début des années 90.

La police le considère comme proche du clan des Siciliens ; il aurait même été vu attablé avec le défunt parrain de la mafia Vito Rizzuto. La RACJ n’a pas accordé à la Grande Roue les permis demandés.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.