Des cartels mexicains auraient depuis quelques années à Montréal et au Québec des « gérants de succursale » qui feraient tout eux-mêmes, de l'importation de cocaïne à l'élaboration d'une liste de clients, en passant par l'entreposage, la distribution de la drogue et le blanchiment de l'argent sale.

Ces gérants sont responsables d'une cellule du cartel qui les envoie ou les embauche, et représente celui-ci dans la ville où ils s'établissent. Ils sont appelés dans le jargon policier « plaza bosses » (chefs de secteur).

Ces chefs de secteur de cartel ne sont pas propres à Montréal. Ils sont aussi présents dans d'autres grandes ou petites villes nord-américaines, et ailleurs dans le monde.

Le projet Café, une enquête récente de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), division C (Québec), a permis aux enquêteurs de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé (UMECO) de se plonger dans le mode de fonctionnement des « plaza bosses » et de faire condamner un individu qu'ils croient être l'un de ces représentants des cartels mexicains.

Granit, marbre et cocaïne

L'individu en question, Sergio Almaraz-Martin, est un Mexicain. Il vivait à Montréal avec des membres de sa famille dans un appartement assez huppé de la rue Ann. Il n'avait pas de statut au Canada, et il entrait et séjournait au pays avec un visa. Il recevait la visite d'un autre Mexicain lui aussi détenteur d'un visa, Juvenal Avila Torres, également ciblé par les policiers.

Selon la preuve amassée, la cocaïne aurait été importée dans la région de Montréal par des camions qui arrivaient des États-Unis et s'arrêtaient dans l'entrepôt d'une entreprise d'importation de marbre et de céramique, au sud-ouest de Montréal.

L'entreprise, appelée Granitmarbre-Mex, était au nom de trois administrateurs, dont Almaraz-Martin et Avila Torres, qui ont donné une adresse à Ixmiquilpan, au Mexique.

La cocaïne aurait ensuite été distribuée à des individus de différents groupes criminels et de différentes origines, y compris des Québécois.

Les policiers ont également mis la main sur 300 000 $ et des preuves de transferts de sommes de plus de 2 millions vers le Mexique avec l'aide d'un système appelé Hawala.

Almaraz-Martin, 54 ans, a plaidé coupable à un chef de possession de cocaïne dans un but de trafic en janvier 2017 et a été condamné à une peine de trois ans de pénitencier.

Les accusations ont été retirées contre Avila Torres, car ce dernier avait de graves problèmes de santé.

Au Québec, c'est Sinaloa

Selon le caporal Dany Turcot, de la GRC, qui a suivi une formation sur les cartels donnée par un ex-policier américain, les chefs des cartels mexicains ont, au cours des dernières années, établi des relations avec les organisations criminelles canadiennes pour inonder les rues des villes de drogues illicites.

Il affirme que les cartels de Sinaloa et de Jalisco NG (New Generation) sont ceux qui envoient des gérants dans les provinces de l'est du Canada. « Le Québec semble appartenir au cartel de Sinaloa », dit-il.

Ces deux cartels utilisent principalement deux routes pour importer leur drogue dans l'est du Canada, celle de la Californie et de l'Arizona, et celle du Texas. Ce serait cette deuxième route qui serait principalement utilisée par les trafiquants du Québec, selon ce que la police décode des saisies de cocaïne destinée à la Belle Province et des arrestations de camionneurs québécois aux États-Unis effectuées au cours des dernières années.

Monsieur Tout-le-Monde

D'après le caporal Turcot, les cartels mexicains qui envoient un chef de secteur dans une ville comme Montréal n'établissent pas de liens hiérarchiques avec les organisations criminelles locales. Les cartels sont à la recherche de clients, c'est-à-dire de réseaux de distribution pour vendre et écouler leur marchandise, et les chefs de secteur agissent comme facilitateurs.

Les cartels - par l'entremise de leur chef de secteur - ne font aucune distinction entre les organisations criminelles locales avec lesquelles ils font affaire, et celles-ci sont ensuite considérées comme des membres du cartel.

« Il est donc important de ne pas s'attarder aux stéréotypes latinos lorsqu'on est à la recherche de membres de cartel. Celui-ci peut être de n'importe quelle origine ethnique. »

- Le caporal Dany Turcot, de la GRC

M. Turcot souligne qu'un membre de cartel ou un chef de secteur, à Montréal ou ailleurs, pourrait, par exemple, être un Québécois de souche.

Même si les cartels sont souvent synonymes de violences et de meurtres au Mexique, Dany Turcot croit qu'au contraire, les chefs de secteur ou membres des cartels qui s'installent au Canada ont tout intérêt à ne pas faire de vagues et à s'intégrer dans leur société d'accueil, avec leur famille.

« C'est monsieur Tout-le-Monde. Votre voisin qui n'a l'air de rien. Vous ne savez rien tant que vous ne le savez pas. L'un des sujets enquêtés dans le projet Café avait inscrit sa fille à des cours d'anglais dans un collège reconnu. Il allait la mener et la chercher à l'école tous les jours », décrit le caporal.

Le « plaza boss » peut donc être un citoyen canadien. Il occupe généralement un emploi légitime et habite en banlieue ou dans un bel appartement dans la grande ville.

Dans une même ville, il peut y avoir plus d'un chef de secteur pour le même cartel ou même deux cartels différents.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.