Privé de passeport depuis plus de cinq ans, Francisco Daniel Caruso s'adresse à la Cour supérieure dans l'espoir de faire déclarer inconstitutionnelle la loi qui permet de suspendre le passeport d'un parent qui ne paie pas la pension alimentaire qu'il doit à ses enfants.

Selon l'homme de 46 ans, cette loi viole l'article 6 de la Charte des droits et libertés. Cet article dit que tout citoyen canadien a le droit de demeurer au pays, d'y entrer ou d'en sortir. Or, pour voyager et entrer dans la plupart des autres pays, le passeport est obligatoire, plaide son avocat, Me Clemente Monterosso. Selon ce dernier, il y a là une atteinte directe à un droit fondamental de son client. C'est le juge William Fraiberg qui entend cette cause depuis hier, au palais de justice de Montréal.

Divorcé en 2001, M. Caruso a cessé de payer la pension alimentaire pour ses trois enfants peu de temps après. En 2003, après avoir été avisé qu'on allait suspendre son passeport parce qu'il ne payait pas sa pension, il a tenté de faire annuler celle-ci, ainsi que les arriérés, en Cour supérieure. Jugeant qu'il était capable de payer, la juge Marie Gaudreau avait refusé.

Malgré cela, M. Caruso n'a pas payé, si bien que les arriérés se chiffrent maintenant à plus de 80 000$. M. Caruso affirme avoir travaillé dans la boulangerie de son père jusqu'à sa fermeture, en 1999. Il soutient avoir tout laissé à son ex-femme lors du divorce : la maison de 400 000$, les meubles et les voitures. Il se dit depuis sans le sou, sans emploi et dépressif. Il affirme avoir besoin de son passeport parce qu'il veut monter une affaire d'importation de bois exotique en provenance d'Amérique du Sud.

L'avocat du gouvernement fédéral, Me Alexander Pless, soutient de son côté que l'homme est l'artisan de son propre malheur puisqu'il n'a rien fait pendant toutes ces années pour conclure des arrangements. Il ne peut se plaindre de sa mauvaise foi.

«Le régime permet de démontrer son incapacité ou de faire des arrangements. Il n'a rien fait», a fait valoir Me Pless. L'avocat a aussi fait ressortir que M. Caruso avait fait neuf voyages en Amérique du Sud en moins de deux ans avant de voir son passeport suspendu. S'il avait les moyens de voyager, il aurait dû les avoir pour payer sa pension alimentaire.

M. Caruso soutient que ce sont des amis et des personnes intéressées à son projet qui lui ont prêté l'argent pour voyager. Cette explication n'a pas semblé impressionner le juge. Outre les voyages, le magistrat a noté que M. Caruso avait engagé un avocat pour entreprendre un débat constitutionnel, ce qui coûte cher. Il a trouvé un peu invraisemblable que M. Caruso s'accroche à son seul projet d'importation de bois exotique depuis 2004. «Peut-être qu'il est incapable de payer, mais il choisit d'attaquer la constitutionnalité», a noté le juge, qui a souligné que, de toute façon, il était lié par le précédent jugement qui avait établi que M. Caruso pouvait payer. Le débat se poursuit aujourd'hui.

Une mesure efficace

La Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et ententes familiales a été adoptée il y a une douzaine d'années, et elle est efficace. Selon Me Pless, de 30 à 40% des gens qui reçoivent un avis de suspension de leur passeport règlent leur dû. Dans certaines provinces, comme l'Ontario, les mesures sont plus radicales et peuvent inclure la suspension du permis de conduire. D'autres pays, comme l'Australie et les États-Unis ont aussi recours à de semblables mesures en matière de pensions alimentaires.