Le Manoir Lafontaine, immeuble résidentiel devenu un symbole de la lutte contre les rénovictions à Montréal, vient d’être officiellement vendu à un organisme qui y offrira du logement abordable.

La société immobilière Hillpark a signé un acte de vente mardi après-midi, pour officiellement céder la tour de 14 étages au promoteur et gestionnaire social Interloge, a appris La Presse.

« On tourne la page », a affirmé en entrevue Jeremy Kornbluth, copropriétaire de Hillpark avec Brandon Shiller. « Tout est bien qui finit bien. Moi, je regarde l’avenir. »

Avec son associé, ils avaient déclenché une levée de boucliers au printemps 2021 en tentant d’expulser les résidants de l’immeuble afin d’y effectuer des travaux majeurs. Plusieurs des locataires payaient des loyers bien en deçà de la valeur marchande, en raison de l’ancienneté de leur bail. Politiciens et manifestants se relayaient devant l’immeuble pour dénoncer le comportement des propriétaires.

Interloge, qui jouit d’un appui important de la Ville de Montréal, estime aussi qu’il faudra vider la tour de 91 appartements pour la rénover de fond en comble. Seulement 13 ménages y résident encore et sont actuellement rencontrés par l’organisme, a indiqué le directeur général de l’Interloge, Louis-Philippe Myre.

« On travaille actuellement à relocaliser les locataires pour qu’on puisse réaliser des travaux de rénovation substantiels », a-t-il affirmé en entrevue téléphonique.

Il y avait une injustice à corriger et il n’y a pas beaucoup d’organismes à but non lucratif qui ont la capacité de réaliser ce type de transaction.

Louis-Philippe Myre, directeur général de l’organisme Interloge

« Les coûts et les difficultés d’arriver à un projet nous-mêmes » ont convaincu les deux hommes d’affaires de vendre le Manoir Lafontaine plutôt que d’exécuter leur plan initial, a indiqué M. Kornbluth.

« Je pense que, peut-être, l’immeuble avait un autre destin. »

La Ville à la manœuvre

MM. Kornbluth et Myre le confirment : c’est la Ville de Montréal qui était à la manœuvre pour faire en sorte que le Manoir Lafontaine soit transformé en immeuble de logements abordables à long terme. Elle a joué le rôle d’entremetteur entre Interloge et les hommes d’affaires.

Montréal a d’ailleurs versé 5,6 millions en subvention non remboursable à l’organisme afin de lui permettre de boucler son montage financier.

« Quand il y a une volonté politique qui supporte ce type de transactions, c’est toujours plus facile de réaliser le projet », a indiqué le patron d’Interloge en entrevue.

Mardi, le Manoir Lafontaine a été vendu pour 18 millions, alors que MM. Kornbluth et Shiller l’avaient payé 15 millions en 2019.

« C’est le meilleur montant qu’on a réussi à négocier », a commenté M. Myre. Dans les derniers mois, le Manoir Lafontaine avait été affiché sur le site d’un courtier immobilier commercial pour un prix de 28 millions.

L’immeuble nécessite des investissements massifs dans les prochaines années. Un rapport d’inspection municipal de 2021 avait déterminé qu’il était en très mauvais état, avec des infiltrations d’eau presque à chaque étage.

« J’ai eu d’agréables surprises sur la condition de la façade, je craignais que ce soit beaucoup plus problématique que ce que l’inspection révélait », s’est consolé Louis-Philippe Myre. « Mais l’état des logements et des espaces communs, c’est très vétuste. Très vétuste. »

Le Manoir Lafontaine a été érigé en 1966 pour servir de résidence dans le cadre de l’Exposition universelle de l’année suivante. Il a ensuite été transformé en hôtel, avant de devenir un immeuble résidentiel.

Interloge est un organisme de bienfaisance actif depuis 1978. Son parc immobilier compte plus de 730 logements « dont les loyers sont nettement inférieurs aux prix du marché », indique son site internet. « Ces logements sont loués en priorité et en grande majorité aux ménages vivant sous le seuil de faible revenu avant impôt. »

Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth sont d’importants propriétaires immobiliers dans le Grand Montréal. En 2021, ils possédaient au moins 800 appartements dans la région métropolitaine. Leurs méthodes de transformation d’immeubles vétustes en logements de luxe ont été critiquées à plusieurs reprises par la justice.